Alors que les investissements dans les centres de données explosent pour répondre à la croissance fulgurante de l’intelligence artificielle, les services publics d’électricité américains tirent la sonnette d’alarme. Une enquête récente de Reuters révèle que près de la moitié des grands fournisseurs d’énergie aux États-Unis font face à des demandes de capacité dépassant leur production actuelle. Derrière cette tension : la ruée de Big Tech pour sécuriser l’alimentation de leurs futurs campus IA. Les centres de données IA aux États-Unis jouent un rôle fondamental dans cette dynamique.
Des demandes qui dépassent les capacités des réseaux
Selon les données recueillies par Reuters, les opérateurs historiques comme Oncor (Texas), PPL (Pennsylvanie) ou encore Evergy (Kansas-Missouri) font face à des demandes de raccordement d’une ampleur inédite. À titre d’exemple, Oncor a reçu des requêtes totalisant 119 GW, soit quatre fois sa consommation maximale actuelle. PPL fait état de 50 GW de demandes actives, pour une capacité installée de seulement 7,2 GW.
Cette dynamique est portée par les géants du cloud (Microsoft, Google, Meta, Amazon) ainsi que par de nouveaux entrants spécialisés dans l’IA générative, dont les besoins en calcul (et donc en énergie) sont exponentiels. Résultat : les services publics doivent repenser entièrement leurs plans d’investissement sur 5 à 10 ans, avec des milliards de dollars de dépenses en capital ajoutés dès 2024.
Une chaîne de décision complexe et opaque
Le processus d’implantation de centres de données reste souvent flou, fragmenté et concurrentiel. Les opérateurs cloud multiplient les appels d’offres simultanés dans plusieurs États, sans toujours finaliser les projets. Cette asymétrie d’information rend la planification énergétique difficile : les services publics hésitent à investir sans garanties contractuelles, tandis que les entreprises tech négocient en jouant la concurrence.
Pour anticiper ces tensions, certains États comme la Pennsylvanie envisagent de créer des plateformes de coordination énergétique pour centraliser les demandes et mieux orienter les investissements. Une réponse institutionnelle à un marché devenu instable.
Entre surconstruction et bulles spéculatives
Le risque est double :
- Si les services publics sous-investissent, les infrastructures seront incapables de répondre à la demande, avec des risques de coupures ou de rationnement.
- Si, au contraire, ils surinvestissent sur la base de projets non confirmés, les consommateurs pourraient supporter le coût à travers leurs factures.
Selon les experts, le coût de construction d’un seul mégawatt dépasse aujourd’hui 12 millions de dollars, en partie à cause de la flambée des matières premières (acier, cuivre) et des contraintes réglementaires. Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, l’équation économique devient incertaine, d’autant plus que certains opérateurs (dont Microsoft) ont déjà annulé plusieurs projets totalisant 2 GW.
Vers un modèle IA plus sobre ?
Paradoxalement, les modèles d’IA de nouvelle génération pourraient à terme réduire la pression énergétique. Des architectures comme DeepSeek promettent de fonctionner avec moins de calculs, moins de puces, et donc moins de besoin en alimentation. À cela s’ajoute une tendance vers l’optimisation des systèmes de refroidissement, responsables d’une large part de la consommation énergétique des datacenters.
Cependant, ces avancées ne sont encore qu’en phase de maturation, alors que les investissements IA s’accélèrent dans l’immédiat. La course aux GPU, le besoin de redondance, et les délais de construction imposent une vision long terme… souvent en décalage avec les cycles politiques et financiers des opérateurs d’énergie.
Une crise énergétique numérique en gestation
La demande énergétique des centres de données IA aux États-Unis a déjà dépassé les scénarios prudents des énergéticiens. Sans coordination entre les géants de la tech, les services publics et les autorités régulatrices, le risque de saturation, d’inflation et de déséquilibre réseau devient systémique.
Ce phénomène, encore largement nord-américain, préfigure les débats à venir en Europe : jusqu’où peut-on alimenter l’intelligence artificielle sans réinventer l’infrastructure énergétique mondiale ?