Notre article est, lui-même, quasi-neutre
Libération a publié en exclusivité plusieurs passages du rapport gouvernemental sur la neutralité du net. Les premières impressions viennent confirmer les craintes que l’on pouvait avoir…
Daté du 16 juillet, ce rapport de 45 pages intitulé « La neutralité de l’Internet. Un atout pour le développement de l’économie numérique » n’avait jusqu’à présent pas été rendu public. C’est finalement le journal Libération qui se l’est procuré et qui en publie les principaux extraits.
Sous prétexte de « risques de congestion du réseau », le rapport nous explique que « les bénéfices de la neutralité ou de l’ouverture de l’Internet doivent être mis en regard d’autres considérations sociétales, économiques, juridiques ou techniques ». En d’autres termes : la neutralité, ce n’est pas le plus important. Ou alors, il faudra parler de « quasi-neutralité » tout comme l’avait fait l’Arcep…
Car en effet, tout au long des pages de ce document, la notion de neutralité est rapidement oubliée au profit de la notion (plus pratique, plus vague) d’Internet “ouvert”.
Cela permet d’établir des perspectives techniquement non-neutres comme la mise en place de trafic différencié : « la préservation d’un Internet ouvert n’interdit pas la mise en place de mesures techniques, notamment de gestion de trafic ».
Dans cet esprit, parmi les idées défendues les plus polémiques, on retiendra l’évocation d’une possibilité de prioriser le trafic en payant plus cher. Filant la métaphore du facteur qui fait de son mieux pour transmettre un courrier sans différenciation (tout comme le réseau “best effort”), le rapport indique que celui-ci « fait ses meilleurs efforts pour délivrer le courrier mais celui-ci peut être retardé en cas de surcharge, et l’expéditeur n’a pas la garantie que le courrier soit délivré avec succès. Cependant, l’expéditeur peut payer un complément pour avoir des garanties de qualité de service ».
Cette mise à mort du tarif unique se confirme un peu plus loin avec l’évocation d’une possible « augmentation du prix des forfaits ou un plafonnement de consommation dans les forfaits permettant d’adapter la facturation à la consommation », et ce afin de compenser « l’augmentation et la concentration du trafic sur Internet [qui] génère de nouveaux coûts ».
De quoi faire s’arracher quelques cheveux aux défenseurs les plus ardents de la neutralité du net, qui utilisaient déjà la comparaison postale pour défendre l’idée d’un trafic agnostique et non-différencié…
Parmi d’autres joyeusetés, citons encore la perspective d’un filtrage des contenus illégaux sur le net (« sur l’Internet, comme ailleurs, les agissements illicites (fraudes et escroqueries, délits de presse, atteintes à la vie privée, contrefaçon, piratage des oeuvres protégées par le droit d’auteur, diffusion de contenus pédopornographiques, etc.) doivent être poursuivis et sanctionnés, ce qui peut impliquer la mise en place de dispositifs de filtrage ou de blocage de certains contenus »)…
Le rapport vient en outre légitimer le bridage de services que l’on rencontre à haute dose dans le milieu de l’Internet mobile, dont « les capacités de réseaux plus restreintes […] ne permettent pas de transposer, à brèves échéances les pratiques de l’Internet fixe ». La consultation de vidéos en streaming, le peer-to-peer ou encore l’utilisation de services de VoIP sont listés parmi les services difficiles à appliquer sur les réseaux mobiles… seule consolation, les opérateurs seront tenus de « clairement expliquer [les limitations éventuelles] aux utilisateurs finaux », ce qui est loin d’être le cas à l’heure actuelle.
Rappelons que ce rapport devrait servir de base de réflexion pour l’élaboration d’une loi définissant et encadrant la notion de neutralité du réseau. En l’état, on ne voit pas bien quelle partie du rapport concerne cette fameuse « neutralité »…
Source : Ecrans (Libération)