Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’économie numérique, a répondu par la négative à une question du député UMP André Wojciechowski qui demandait la fin de l’anonymat sur Internet.
L’idée de l’interdiction des publications anonymes sur Internet, initiée par le sénateur Jean-Louis Masson, fait débat depuis quelques mois au sein de nos institutions. Allant plus loin, le député André Wojciechowski proposait d’étendre cette logique aux services de messagerie en ligne, en imposant l’utilisation de sa véritable identité.
Nathalie Kosciusko-Morizet réaffirme au contraire l’importance de l’anonymat (ou du pseudonymat), une pratique « permettant la protection de la vie privée sur Internet » : « il est déconseillé de toujours utiliser sur Internet son vrai nom », indique-t-elle dans sa réponse.
Elle rappelle en outre que, même anonyme et pour une publication sur Internet, « l’auteur des écrits reste responsable des contenus qu’il publie ». Par conséquent, il n’y a pas besoin d’imposer l’utilisation de sa véritable identité aux internautes pour lutter contre la désinformation et la diffamation sur la Toile : « en cas d’abus de [la] liberté d’expression, une enquête sera nécessaire, à partir de l’adresse IP de l’ordinateur utilisé, pour rechercher l’identité de l’auteur des contenus en cause »…
La secrétaire d’Etat suggère toutefois de revoir la durée de prescription de la diffamation dans la presse et sur Internet, actuellement fixé à trois mois. Si ce délai suffit largement dans le cas d’un journal, qui aura alors disparu des kiosques, il n’est pas forcément adapté au Net, sur lequel les contenus restent accessibles indéfiniment…
Retrouvez la réponse intégrale publiée sur le site des questions de l’Assemblée nationale ci-dessous :
« Une obligation de déclarer sa véritable identité sur Internet serait à la fois inopportune et inefficace. Elle serait en effet inopportune car elle entrerait en conflit avec la liberté d’expression. Pour donner un exemple, un blogueur n’osera plus donner son avis sur la politique de son entreprise ou sur celle du gouvernement, surtout s’il est fonctionnaire. Rappelons à titre d’illustration le litige soumis fin mai au conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, par des salariés licenciés pour avoir médit de leur employeur dans un échange privé. Bien évidemment, cette liberté d’expression doit s’exercer dans le cadre des lois en vigueur, et l’auteur des écrits reste responsable des contenus qu’il publie. Par ailleurs, une obligation de déclarer sa véritable identité sur Internet méconnaîtrait le fait que l’anonymat ou le pseudonymat sont deux des pratiques permettant la protection de la vie privée sur Internet. En dehors des situations où la vraie identité est indispensable, pour accéder à ses dossiers personnels par exemple, il est déconseillé de toujours utiliser sur Internet son vrai nom. D’ailleurs, la question de l’honorable parlementaire portant sur les données divulguées par les jeunes sur Internet montre à quel point il serait dangereux que les jeunes soient obligés de révéler leur véritable identité pour s’exprimer sur Internet.
Une telle obligation serait d’autre part inefficace. En effet, la loi 2004-575 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) fait déjà obligation aux prestataires de service, en ligne de conserver l’identité des contributeurs, cela afin de permettre de faire éventuellement jouer la responsabilité de ces derniers. Cette formalité est déclarative. On constate en pratique que certains internautes ouvrent des comptes sur des sites contributifs sous des identités d’emprunt. En cas d’abus de leur liberté d’expression, une enquête sera nécessaire, à partir de l’adresse IP de l’ordinateur utilisé, pour rechercher l’identité de l’auteur des contenus en cause. Obliger les internautes à publier leur identité ne les empêcherait pas de mentir s’ils le souhaitent, sauf à contraindre chaque internaute à détenir et à utiliser systématiquement des outils de preuve d’identité, comme va le faire la Chine. Certes, cette situation n’est pas satisfaisante. La LCEN fait toutefois obligation au prestataire de service internet de supprimer les contenus qui lui sont signalés comme illégaux : même si la recherche de l’auteur de l’infraction est infructueuse, il peut être mis un terme aux abus.
Une telle obligation constituerait enfin une mauvaise solution au problème de la diffamation sur Internet, qui réside en fait dans la durée de prescription. Celui-ci est, comme pour les articles de presse, de trois mois à compter de la mise en ligne. Mais tandis qu’au bout de trois mois, un article sur papier a disparu des kiosques, sur Internet il reste en ligne indéfiniment. Cela pose la question de la nécessité d’une prise en compte différenciée de la prescription pour les diffamations sur Internet. Le débat, qui avait eu lieu au Parlement lors du vote de la LCEN, avait abouti au maintien de la durée de trois mois. »
Source : Assemblée nationale (via PC INpact)