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Chronologie des médias : trois ans de plus pour les plateformes de streaming ?

Netflix - Plateforme de streaming

La « chronologie des médias » est un dispositif réglementaire qui fixe l’ordre et les délais de diffusion des œuvres cinématographiques après leur sortie en salle. Il s’agit d’une spécificité française, destinée à protéger la diversité culturelle et à encourager l’investissement des diffuseurs dans la création. Depuis plus d’un an, un nouvel accord est appliqué, offrant notamment un accès accéléré aux films pour les plateformes de streaming qui participent au financement de la production audiovisuelle. Or, alors que ce dispositif touche à son terme, la proposition d’une prolongation de trois années supplémentaires suscite de multiples réactions.

Une demande de prolongation venue du CNC

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a rédigé un projet proposant de reconduire, pour trois ans, l’accord élaboré en 2022. Cette décision inclurait les ajustements introduits par un avenant l’année suivante. Les professionnels du secteur (studios, distributeurs, plateformes de streaming, chaînes de télévision) ont été invités à formuler leurs retours, et l’on attend désormais un consensus, ou du moins un compromis, d’ici quelques semaines.

L’accord en vigueur a marqué une rupture dans le paysage audiovisuel. Les délais de diffusion pour les abonnés à certaines plateformes (Netflix, Disney+…) sont passés d’une trentaine de mois à un calendrier nettement plus favorable : 15 mois pour Netflix et 17 mois pour Disney+. Cette réduction s’accompagne d’une contrepartie : investir un pourcentage donné de leur chiffre d’affaires dans la création cinématographique et audiovisuelle française.

Un premier bilan encore difficile à dresser

Selon le CNC, il est trop tôt pour mesurer dans le détail les effets concrets de cette réforme. L’instance rappelle que la période écoulée a été marquée par de profonds bouleversements : le renforcement de la concurrence entre les plateformes, l’accélération du numérique et la fragilisation de l’économie du cinéma durant la crise sanitaire. Prolonger l’accord actuel permettrait, selon l’organisme, de mieux évaluer l’impact réel de ces mesures et d’éviter toute précipitation susceptible de créer un nouveau déséquilibre.

Du côté des grands opérateurs, les avis divergent. Netflix souligne la nécessité de réunir davantage de données et d’observer plus longtemps les pratiques de consommation des spectateurs avant de tirer des conclusions. De son côté, Disney pourrait profiter de cette phase de renégociation pour exiger des délais de diffusion similaires à ceux dont bénéficie CANAL+. Le géant américain juge en effet préjudiciable de devoir patienter 17 mois pour proposer ses propres films dans l’Hexagone, alors même qu’il s’agit souvent de blockbusters sur lesquels reposent des stratégies marketing internationales.

Les points de tension dans la négociation

La volonté de Disney de réduire davantage les fenêtres existantes ouvre un débat sensible. D’un côté, les défenseurs de la chronologie mettent en avant la préservation de la salle de cinéma et la protection des acteurs historiques qui continuent de diffuser la diversité des œuvres. De l’autre, les plateformes affirment qu’un modèle trop rigide risque de nuire à la compétitivité du secteur français et de freiner l’attractivité de la production locale.

À cela s’ajoutent les chaînes payantes comme CANAL+, qui bénéficient d’une fenêtre privilégiée après le grand écran, en échange d’un soutien financier massif à la création nationale. Toute évolution trop radicale de la chronologie pourrait, selon elles, fragiliser ce modèle économique solidaire. Pour l’instant, la proposition du CNC de maintenir le statu quo tempère les revendications les plus audacieuses, mais rien n’empêche certains intervenants de tenter un rééquilibrage.

Trois ans pour consolider ou repenser le système

Si le gouvernement valide la proposition du CNC, la chronologie des médias version 2022-2023 continuerait donc de s’appliquer jusqu’en 2026. Durant ce laps de temps, le marché aura l’occasion de s’adapter pleinement à ces nouvelles règles, et l’ensemble des parties prenantes pourront évaluer précisément leur impact. Les distributeurs, les exploitants de salles, les producteurs et les plateformes auront davantage de recul pour envisager les éventuels correctifs.

La question demeure : cette prolongation calmera-t-elle les tensions ? D’un côté, certains voient dans ce délai une opportunité de consolider l’attractivité de la production française et de stabiliser les rapports de force. De l’autre, des plateformes mondiales, comme Disney+, pourraient continuer à faire pression pour raccourcir leur délai de mise à disposition. La volonté de conquérir davantage d’abonnés, soutenue par des stratégies mondiales agressives, entre en résonance avec la politique culturelle tricolore, réputée plus protectrice.

Ce feuilleton n’a donc pas dit son dernier mot. Qu’il s’agisse de s’aligner sur l’accès prioritaire de CANAL+ ou de conserver la chronologie actuelle, chaque acteur cherchera à faire valoir ses intérêts. Une chose est sûre : la France fait encore figure d’exception dans la manière de réguler la distribution des œuvres cinématographiques. Si la prolongation de l’accord est officialisée, les prochains mois serviront de test : l’industrie pourra alors mesurer avec clarté qui parvient à en tirer le plus d’avantages, et à quel prix.

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