Free et la fibre, nous vous en parlions il y a quelques semaines, c’est une longue histoire faite d’espoirs souvent déçus. Mais, petit à petit, les choses se mettent en place… en toute discrétion, ce qui peut surprendre de la part d’un opérateur plus habitué aux lancements en grande pompe !
Cette fois, ce sont les très attendues zones « moins denses » qui entrent sur la pointe des pieds…
Une zone moins dense, c’est quoi ?
Flashback : en juillet 2011, Free signait un accord avec Orange pour raccorder les clients des zones moins denses de 60 agglomérations.
Pour comprendre, il faut remonter quelques années plus loin. En 2009, l’ARCEP a divisé la France en 2 types de zones : les zones « très denses » ou ZTD (une grosse centaines de communes, rassemblant environ 5,5 des 33 millions de logements de France) et les zones « moins denses » ou ZMD, contenant les 27,7 millions d’abonnés restants.
Dans ces dernières, contrairement aux zones très denses, le réseau est déployé par un seul opérateur : Orange, ou SFR, selon la ville. Les autres opérateurs contribuent au financement du déploiement de l’opérateur local et réservent un certain nombre de fibres selon le nombre d’abonnés qu’ils estiment avoir dans la zone.
Free a ainsi signé avec Orange (mais pas avec SFR) pour arriver sur les zones moins denses qu’il a choisi de déployer en 2011. A ce jour, nul ne sait si les zones reprises à SFR en 2015, telles que Versailles, seront intégrées dans cet accord. Attention à ne pas faire de confusion : si Orange déploie l’agglomération bordelaise, l’accord concerne la banlieue, mais pas la ville de Bordeaux, elle-même « très dense ». De même à Lyon…
Free ouvre doucement les vannes des abonnements dans les zones moins denses
Après avoir intensifié ses raccordements en « zones très denses » courant 2015, atteignant pratiquement 200 000 abonnés fibrés début 2016, Free devait appuyer sur le bouton rouge pour commercialiser la fibre pour les centaines de milliers de logements déployés par Orange et disponibles dans le contrat de mutualisation.
Depuis quelques semaines, les membres de lafibre.info remontent des cas d’éligibilité dans plusieurs villes, et certains aventureux ont pu s’abonner avec succès.
Les villes connues à ce jour sont Castelnau-Le-Lez (34), Le Plessis-Trévise (94) et quelques adresses attenantes. Toutefois, faute de communication officielle de Free, il est tout à fait possible que votre ville, couverte par Orange, soit également desservie en fibre par Free : n’hésitez pas à faire un test d’éligibilité, sachant que pour l’instant Free ne migre pas encore ses anciens abonnés ADSL vers la fibre dans ces zones. Suivant l’exemple des zones très denses, cela devrait prochainement être possible, voire obligatoire.
Pourtant, dans les villes couvertes, toutes les adresses ouvertes par Orange ne sont pas encore raccordées par Free, sans que l’on sache pourquoi a priori. En bref : c’est la loterie !
Adieu P2P : un choix technologique différent
En 2006, Free était un fervent défenseur, envers et contre tous, d’un déploiement « point-à-point » (P2P), garantissant à l’abonné une fibre dédiée depuis chez lui jusqu’au répartiteur. Aujourd’hui, Free semble avoir mangé son chapeau, et opté pour une technologie différente en ZMD.
Pour mieux comprendre, voici des schémas des deux technologies concurrentes, GPON et P2P (faits par Vivien GUÉANT de lafibre.info) :
Free a choisi la fibre en point-à-point pour son évolutivité, au contraire de la quasi-totalité des opérateurs FTTH mondiaux, qui choisissent les technologies passives (GPON) pour leur simplicité de déploiement, synonyme de coûts très bas et de centraux optiques bien plus petits. Ainsi, une fibre suffit pour 64 abonnés… tandis qu’il en faut 64 chez Free !
Free vante en réponse le débit garanti de sa fibre : l’abonné dispose d’1 Gbps qu’il est seul à utiliser entre lui et le central, contre 2,5 Gbps divisés en 64 abonnés pour ses concurrents — ce qui ne permet pas à tout le monde d’atteindre le débit maximal de sa connexion. Mais il s’agit d’un argument partiellement invalide : Free relie lui-même la fibre à un équipement pouvant desservir 384 abonnés, alimenté par… 10 à 20 Gbps pour tout le monde. Cela crée également un goulot d’étranglement, ne permettant pas à chacun d’atteindre son plein débit !
Comment fournir 1 Gbps à tout le monde ?
Tout le monde n’utilise pas son accès à Internet en même temps, et rarement à de tels débits (que les serveurs n’atteignent presque jamais). De plus, de nombreux clients se contentent de relier leurs périphériques en wifi à leur box, n’utilisant ainsi que des débits très inférieurs au gigabit. Les réseaux des fournisseurs sont ainsi dimensionnés pour un débit de 1 Mbps par utilisateur en moyenne au plus fort de la journée… même si des centaines de milliers d’entre eux disposent d’une connexion autorisant un débit 1000 fois plus élevé. Les opérateurs suivent de près l’évolution de la consommation de leurs clients afin d’éviter la saturation de ces réseaux, tout en évitant de payer plus cher un matériel d’une capacité excessive.
Ces débits augmentant avec le temps, les opérateurs se voient régulièrement obligés d’augmenter leur capacité. Si, pour l’instant, la technologie utilisé par SFR, Bouygues et Orange (2,5 Gbps en descendant et 1,25 Gbps en montant par groupe de 64 abonnés) permet de servir sans difficulté des abonnés à 1 Gbps, il faudra sans doute monter en débit un jour pour éviter la saturation. Là où Free n’aura à faire le changement que le jour où il proposera des débits supérieurs au gigabit par seconde, ce qui ne semble pas dans ses projets à court terme. Et depuis 2006, le GPON se démocratisant, des technologies plus performantes, telles que le 10-GPON (10 Gbps descendants, 2.5 Gbps montants), ont été développées pour répondre à cette problématique de montée en débit…
Après les beaux discours de Free 2006, il semble donc que l’opérateur soit rentré dans le rang, et refait ses calculs ! La technologie retenue est donc proche des concurrents : il s’agit bien d’une fibre partagée entre 64 abonnés.
Le 10G-EPON, choix de Free en zone moins dense
Xavier Niel glissait en 2014 que Free ne choisirait pas une solution aussi roturière que ses concurrents… et a tenu parole.
Si le choix du point-à-point n’est pas remis en cause en ZTD aujourd’hui, Free utilise du 10G-EPON (et non du GPON classique) en zone moins dense. Au lieu de donner 2,5 Gbps descendants et 1,25 Gbps montants à 64 abonnés, la solution choisie par Free peut atteindre 10 Gbps montants et 1 Gbps descendants, avec la possibilité pour l’opérateur de changer ses équipements actifs afin d’atteindre 10 Gbps symétriques. De quoi retarder nettement l’échéance concernant une évolution future du réseau — même si le débit montant est relativement faible ! Il semblerait également que le coût soit plus intéressant pour Free, qui, arrivant tard, a le privilège de ne pas être contraint dans son choix de technologie par un parc existant.
Pour l’abonné, concrètement, cela ne devrait donc rien changer, il bénéficiera d’une offre 1 Gbps/200 Mbps où qu’il soit. Seul le connecteur à placer dans la Freebox est différent : un boîtier externe est ajouté.
Une attribution particulière des adresses IP : Free inaugure le NAT sur un réseau fixe
Si vous avez suivi l’actualité informatique des dernières années, vous n’êtes pas sans savoir que les adresses IPv4 que nous utilisions depuis les débuts de l’Internet sont arrivées à épuisement. Free n’échappe pas à la règle, commençant à manquer d’adresses IP pour ses propres abonnés. Cela est d’autant plus vrai que ses méthodes d’attribution sont gourmandes : des équipements peu remplis (desservant des centraux de petite taille, ou dont les abonnés ont été migrés vers la fibre à Paris par exemple) prennent de très nombreuses adresses inutilement.
Pour éviter de manquer d’adresses, l’opérateur a envisagé une solution nouvelle sur le marché du fixe : partager une adresse IPv4 entre plusieurs clients en utilisant NAT (Network Address Translation), ici dans une solution dite ‘A+P’.
Cette solution, utilisée dans une version différente par les opérateurs mobiles, vous l’utilisez également chez vous, quand votre box vous permet de raccorder PC, tablettes, téléphones, consoles, TV connectées, et autres, derrière une unique adresse IP publique. À l’échelle de plusieurs clients, ce partage d’IP n’est pas si simple : il se fait en attribuant une plage de ports (un quart des 65536 ports disponibles) à chaque client. De quoi savoir très simplement quel client parmi les quatre a émis un flux donné, distinction assurée jusqu’ici par l’adresse IP seule. Cela s’avérera utile en cas de problème, par exemple dans le cadre d’une requête d’identification HADOPI.
Si vous hébergiez votre serveur web chez vous, sur le port 80 par exemple (le port classique en HTTP), vous ne pourrez plus le faire si Free ne vous a pas attribué la plage de ports contenant le port 80. Ce problème touchera donc 75% des abonnés. D’autres limitations sont susceptibles d’apparaître, par exemple pour les utilisateurs de certaines consoles de jeu. Pour autant, pour de nombreux usages « classiques » (notamment web, mails…), ce sera totalement transparent.
Face à la grogne des utilisateurs, Rani Assaf, directeur du réseau Free, est lui-même intervenu pour préciser que la limitation ne sera pas bloquante : les clients pourront bénéficier gratuitement, sur demande, d’une adresse IPv4 dédiée, pour bénéficier d’un accès à l’intégralité des ports et continuer à profiter de certains usages spécifiques. Cela permettra d’économiser des IP chez la plupart des clients, n’ayant pas d’usage spécifique, sans déranger les utilisateurs avancés ayant besoin d’une connectivité complète. L’économie permettra même aux clients de commander, cette fois de façon payante, plusieurs adresses IP différentes pour leur usage, afin d’héberger des services plus complexes sur leur connexion fibre.
Ces limitations ne concernent évidemment pas la connectivité IPv6, de plus en plus répandue, qui est complète dans tous les cas : le client continuera à bénéficier d’une plage d’adresses dédiée en IPv6.