Dans l’univers des télécoms, la gestion de la dette est une question essentielle notamment en raison d’une concurrence réduite à 4 acteurs principaux du marché, en particulier pour des groupes ayant massivement investi dans le déploiement d’infrastructures comme la fibre optique et la 5G. Deux géants français, Iliad (maison mère de Free) et Altice (propriétaire de SFR), incarnent deux approches diamétralement opposées : d’un côté, une stratégie prudente et transparente portée par Xavier Niel, et de l’autre, une approche audacieuse mais risquée, signée Patrick Drahi.
Xavier Niel : une dette sous contrôle, des investissements mesurés
Iliad, sous la houlette de Xavier Niel, a fait le choix d’une gestion rigoureuse de sa dette. Le groupe conserve un objectif clair : maintenir un ratio dette nette sur EBITDA inférieur à 3, une mesure qui garantit une solvabilité solide tout en permettant des investissements stratégiques.
Cette prudence a permis à Iliad de se développer sans jamais s’exposer à des risques excessifs. Les acquisitions, comme celle de l’opérateur polonais Play ou de l’italien WindTre, ont été financées grâce à un mix équilibré entre endettement et autofinancement. Cette approche prudente a renforcé la crédibilité du groupe auprès des marchés financiers, illustrée par une notation de crédit stable et des conditions avantageuses pour ses emprunts.
Par ailleurs, Iliad privilégie une structure de dette simple, sans recours à des montages complexes ou des transferts d’actifs. Cette transparence est un gage de confiance pour les créanciers, mais aussi pour les investisseurs et les partenaires commerciaux.
Patrick Drahi : l’ingénierie financière au service de l’expansion
À l’opposé, Patrick Drahi incarne une stratégie de gestion de la dette fondée sur l’ingénierie financière. Depuis ses débuts, le fondateur d’Altice a construit un empire à coups d’acquisitions financées par un endettement massif. Aujourd’hui, Altice France affiche une dette colossale de 24 milliards d’euros, soit un ratio dette nette sur EBITDA bien supérieur à celui d’Iliad.
Cette stratégie repose sur des montages financiers sophistiqués et souvent opaques. Le cas de XPFibre, la filiale fibre optique de SFR, en est un exemple récent : cette entité a été placée en fiducie auprès de Natixis, un mécanisme destiné à protéger l’actif des créanciers d’Altice. Ce montage intervient alors que Patrick Drahi tente de négocier avec ses prêteurs, après avoir demandé l’effacement d’un tiers de la dette d’Altice France, une demande qui a suscité de vives tensions.
Pour Drahi, la dette est un levier de croissance. En alourdissant l’endettement des filiales comme XPFibre tout en retirant des actifs stratégiques des garanties offertes aux créanciers, il maximise la rentabilité à court terme tout en s’offrant une marge de manœuvre. Mais cette approche comporte des risques majeurs, notamment une dégradation de la confiance des créanciers et des marchés financiers.
Deux visions de l’avenir
La gestion de la dette chez Iliad et Altice reflète des visions opposées de l’industrie des télécoms. Xavier Niel mise sur la pérennité et la prudence, préférant une croissance maîtrisée à une expansion rapide. À l’inverse, Patrick Drahi privilégie une stratégie opportuniste, axée sur l’effet de levier, mais qui fragilise le groupe à chaque crise financière.
Les résultats de ces stratégies commencent à se faire sentir. Iliad continue de gagner des parts de marché en Europe, tout en renforçant sa structure financière. Altice, de son côté, doit composer avec une dette écrasante qui limite sa capacité d’investissement à long terme et accroît la pression des créanciers.
Si les deux approches ont leurs mérites et leurs risques, la transparence et la maîtrise affichées par Iliad pourraient bien devenir un modèle de référence dans un secteur où la confiance des investisseurs est essentielle. À l’inverse, Altice montre que l’ingénierie financière, si elle permet de naviguer dans des eaux troubles, peut aussi mener à une impasse.