Le président de l’Arcep Jean-Ludovic Silicani (photo ci-contre) a consacré au journal Le Monde une interview riche d’enseignements. On y apprend notamment que si l’Autorité n’a qu’un seul dossier à examiner (celui de Free, ce qui est fort probable), « la décision sera prise avant Noël ».
Sur les propos contestés de Nicolas Sarkozy, qui se disait « réservé » sur l’intérêt d’une quatrième licence de téléphonie mobile, il se veut rassurant et affirme que « cela ne porte pas atteinte à l’indépendance de l’Arcep ». Selon lui, les paroles du président de la République n’étaient pas à considérer comme une prise de position officielle, mais comme un simple avis, « comme tout citoyen ».
Enfin, concernant le prix de la nouvelle licence 3G, jugé trop bas par les opérateurs en place (Orange, SFR et Bouygues ; les deux derniers ayant même déposé un recours devant le conseil d’Etat pour cette raison), il se défend de vouloir avantager un nouvel entrant en rappelant que le prix, issu d’une expertise, prendra en compte le fait que le nouvel opérateur « aura moins de fréquences et [entrera] sur un marché mature ». « Si cette licence était bradée, nous devrions avoir de nombreux candidats… », ironise-t-il finalement.
Retrouvez ci-dessous l’interview complète telle que publiée par le site de l’Arcep.
Nicolas Sarkozy s’est dit » sceptique » et » réservé » sur le choix d’un quatrième opérateur mobile. Le processus d’attribution de la quatrième licence avait pourtant été lancé début août. L’Arcep peut-elle prendre sa décision en toute indépendance ?
Le chef de l’Etat est réservé sur ce dossier, mais pas opposé puisqu’il a laissé publier le décret. Il a le droit, comme tout citoyen, de manifester son opinion. Cela ne porte pas atteinte à l’indépendance de l’Arcep, garantie par plusieurs instruments. C’est son collège qui prend les décisions, à la majorité. Ses sept membres -dont le président-, sont nommés pour six ans de façon irrévocable et leur mandat n’est pas renouvelable, ce qui réduit considérablement la portée d’éventuelles pressions. Au-delà des textes, l’Arcep est reconnue pour l’indépendance d’esprit de ses membres. Quant au processus de décision, il est tout à fait différent de celui qui a cours dans les administrations classiques : il est beaucoup plus transparent et collégial. Pour revenir à la quatrième licence, je n’ai reçu aucun appel de l’Elysée, de Matignon ou d’un élu influent. Ce qui est vraisemblable, c’est qu’en exprimant sa préoccupation sur la qualité des candidatures, le Président de la République aura incité le ou les candidats à améliorer celles-ci, ce qui est évidemment une bonne chose.
Les trois opérateurs mobiles, France Télécom, SFR et Bouygues Télécom, ont mené un intense lobbying pour éviter l’arrivée d’un concurrent. Ils trouvent le prix de la licence (240 millions d’euros) trop peu élevé. SFR et Bouygues ont déposé des recours auprès du conseil d’Etat. Ce prix est-il contestable ?
Les conditions d’entrée d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile sont très différentes de celles des trois premiers, notamment parce qu’il aura moins de fréquences et qu’il entre sur un marché mature. Le gouvernement a souhaité, dans une vision patrimoniale (les fréquences sont des ressources publiques rares), que ce prix soit expertisé par la Commission des participations et des transferts qui l’a évalué à 240 millions d’euros. Si cette licence était bradée, nous devrions avoir de nombreux candidats…
Ils expliquent aussi qu’un quatrième acteur risque de les fragiliser financièrement, ce qui pourrait les amener à réduire leurs effectifs. Ces craintes sont-elles justifiées ?
Non. L’arrivée d’un nouvel opérateur a peu de risques de déstabiliser les acteurs en place. Certes, elle va probablement les contraindre à baisser leurs marges. Mais si le nouvel entrant engageait une vraie guerre des prix, vu la taille des opérateurs en place, il serait le premier à disparaitre.
Le prix du téléphone mobile est-il trop élevé en France ?
Les prix sont dans la moyenne haute européenne et avantagent les gros consommateurs. Avec beaucoup d’autres, l’Arcep estime qu’il n’y a pas assez de concurrence et que l’arrivée d’un quatrième acteur pourrait, sans mettre en danger les opérateurs en place, être favorable aux consommateurs.
France Télécom et SFR n’ont pas rempli leurs obligations de couverture du territoire attachée à leur licence » 3G « . Leurs réseaux couvrent environ 80% de la population contre plus de 98% exigés. Seront-ils sanctionnés ?
Nous constatons aujourd’hui des retards au déploiement des réseaux. Nous allons apprécier comment rattraper ce retard. Mais l’Arcep ne restera pas inerte [elle peut prononcer des amendes pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de millions d’euros]. Et elle sera, de même, très vigilante, s’agissant du quatrième opérateur au respect de ses engagements de couverture.
En 2007, un premier processus d’attribution de la quatrième licence n’avait pas abouti [le dossier d’Iliad, déjà candidat, avait été jugé irrecevable par l’Arcep]. La relance du processus a été très longue. Est-ce que cette fois, c’est la bonne ?
Vraisemblablement. Nous pensons avoir au moins une candidature. Il faudra qu’elle remplisse les conditions de forme et de fond de l’appel à candidatures, qui sont publiques et consultables sur le site de l’Arcep, notamment la crédibilité sur le plan technique et financier. Si nous n’avons qu’un dossier à examiner, la décision sera prise avant Noël. Sinon, début 2010.
Propos recueillis par Cécile Ducourtieux
Source : Arcep