L’arrivée de Free Mobile sur le marché français, en janvier 2012, a constitué un véritable séisme dans le paysage des télécoms : forfaits moins coûteux, offres sans engagement, enrichissements de data… Douze ans plus tard, il est surprenant de voir la persistance d’un ressentiment toujours vif chez certains acteurs. Récemment, Olivier Roussat, directeur général de Bouygues Telecom, a exprimé des critiques envers l’opérateur de Xavier Niel, rappelant la tension née à l’époque. De son côté, ce dernier a répliqué avec humour, pointant du doigt l’historique de collusion qui avait déjà secoué le secteur en 2005.
Une rancœur réactivée
Dans un entretien mené par le youtubeur Romain Lanéry, Olivier Roussat explique que, avant l’arrivée de Free Mobile, les relations entre les opérateurs étaient « cordiales ». Ce n’est qu’avec le lancement de la filiale d’Iliad que tout se serait envenimé, selon lui, avec des propos peu amènes de part et d’autre. L’exemple mis en avant : les critiques radicales de Free, qualifiant ses concurrents de « voleurs » et « arnaqueurs » pour leurs tarifs jugés excessifs.
Si, depuis 2012, le marché a incontestablement évolué — baisse des prix, démocratisation de la 4G puis de la 5G, hausse des enveloppes data — ces piques verbales témoignent d’un climat de concurrence féroce, parfois teintée d’amertume. Que cette frustration se réveille plus d’une décennie après questionne sur la réelle portée de ces griefs : s’agit-il encore de l’incompréhension face à un modèle économique disruptif, ou d’une simple mise au point ?
La riposte ironique de Xavier Niel
Il n’en fallait pas plus pour que Xavier Niel, fondateur de Free Mobile, réponde en multipliant les allusions aux condamnations pour entente de 2005, impliquant Orange, SFR et Bouygues Telecom pour avoir, justement, gonflé artificiellement les prix. Sur X (ancien Twitter), il partage une vidéo ironisant sur le contraste entre le discours de Bouygues, qui se revendique de relations « cordiales » avant 2012, et le fait qu’un tribunal ait reconnu les trois opérateurs coupables d’avoir coordonné leurs tarifs au détriment des consommateurs.
Une concurrence ambivalente
Ce nouvel échange de piques illustre parfaitement la complexité du marché télécom. D’une part, Free Mobile n’est plus le jeune « trublion » lancé à grands renforts de déclarations fracassantes ; il est devenu un opérateur majeur, imposant ses propres standards tarifaires. De l’autre, Bouygues Telecom, longtemps second ou troisième dans le classement des opérateurs, a cherché à se démarquer sur le terrain de l’innovation (4G Box, Bbox haut de gamme, etc.) sans toujours parvenir à endiguer la fuite de certains abonnés vers des offres plus agressives.
On pourrait se demander pourquoi Bouygues Telecom ravive aujourd’hui un conflit vieux de plus d’une décennie, surtout alors qu’il n’est pas, de l’avis général, le plus performant au niveau tarifaire. Peut-être parce que cette contrariété passée incarne l’irruption d’un acteur ayant bousculé un « entre-soi » jusque-là confortable. En effet, Free a obligé l’ensemble du marché à redéfinir ses modèles, qu’il s’agisse des marges ou des stratégies de fidélisation.
Une révolution durable
Si les rancœurs persistent, elles rappellent surtout que la concurrence peut être saine pour l’usager. L’arrivée de Free Mobile a exercé une pression forte qui a fait baisser considérablement les prix dans un secteur accusé, à l’époque, de s’entendre sur le dos du consommateur. Aujourd’hui, la qualité réseau de Free a évolué, ses offres se sont diversifiées (co-location d’antennes, partenariats, 5G…). De leur côté, les autres opérateurs ont dû affûter leur politique commerciale pour ne pas rester sur le carreau.
Il est intéressant de constater que douze ans après, ce débat reste problématique et notamment au sujet de la place de la concurrence sur el marché des télécommunications.
En effet, Free a démontré qu’un nouvel entrant pouvait briser des habitudes tarifaires et forcer tout un secteur à se réinventer.
Les accusations de « racket » et d’« arnaques » ont surtout mis en avant le sentiment d’incompréhension des consommateurs face à des factures jugées trop élevées et ce en forçant un discours transparent.
Pour finir, au-delà de la bataille des mots, Free a enclenché un mouvement structurel (fin des engagements longs, offres sans surcoût pour la data, etc.) dont bénéficient encore les clients.
Vers un futur plus apaisé ?
La pique lancée par Olivier Roussat montre que certains désaccords persistent, même si le marché semble plus mûr et diversifié qu’en 2012. Quant à Xavier Niel, sa contre-attaque en forme de rappel historique illustre sa volonté de mettre en avant le rôle qu’a joué Free dans la transformation du secteur. Au final, cette passe d’armes est-elle le signe d’une concurrence toujours aiguisée ? Sûrement. Il est toutefois probable que le public, habitué aux offres à bas prix et à l’instantanéité, se soucie moins de ces querelles d’ego que des performances réelles des réseaux et de la qualité de service.
En tout état de cause, cet épisode rappelle qu’une rupture, même ancienne, peut continuer à marquer les mémoires et révéler des crispations sur la stratégie tarifaire. Si Bouygues Telecom continue de pointer du doigt Free Mobile, c’est peut-être aussi parce que l’influence du « trublion » perdure. D’un autre côté, le recours à l’ironie par Xavier Niel démontre que la firme demeure fière de son impact historique sur les prix et que ce sujet reste un marqueur fort de son identité.
Finalement, le constat est là : en dépit des années écoulées, l’arrivée de Free Mobile agit toujours comme un électrochoc récurrent pour ceux qui, jadis, se croyaient à l’abri d’un tel changement. Et c’est sans doute la meilleure preuve que cette compétition, parfois houleuse, a eu un effet durablement bénéfique pour l’ensemble du marché et… pour les abonnés.