Un débat de longue date refait surface en France avec la publication, ce dimanche 13 octobre, d’un amendement proposé par le député Jean-Philippe Tanguy. Cet amendement dont l’objectif est d’imposer une contribution financière aux fournisseurs de contenus et d’applications pour l’utilisation des réseaux des opérateurs télécoms français. Cette initiative intervient dans un contexte où les plateformes de streaming dominent le trafic internet, posant des questions sur la répartition équitable des coûts liés à l’entretien des infrastructures numériques.
L’essor du « fair share » : un enjeu européen
En France, comme dans le reste de l’Europe, les opérateurs télécoms plaident depuis plusieurs années pour l’instauration d’un « fair share », ou partage équitable des coûts. Ce concept repose sur l’idée que les fournisseurs de contenus, en particulier ceux de plateformes comme Netflix, YouTube ou Amazon Prime Video, devraient contribuer au financement des réseaux qu’ils utilisent massivement pour acheminer leurs services vers les consommateurs. Le député Jean-Philippe Tanguy propose ainsi de formaliser cette idée en introduisant une taxe spécifique sur l’utilisation des infrastructures de communication.
L’amendement, inséré dans le Code des impositions sur les biens et services, créerait une « contribution sur l’utilisation des réseaux de communication par les fournisseurs de contenus internet ». Il s’agit d’une première en France, même si le sujet fait débat depuis plusieurs années dans l’Union européenne, où les opérateurs tentent de trouver un équilibre entre la croissance exponentielle du trafic en ligne et les coûts d’entretien des réseaux.
Une contribution calculée en fonction du trafic
Concrètement, l’amendement de Jean-Philippe Tanguy introduirait une contribution annuelle forfaitaire, qui serait acquittée par les fournisseurs de contenus utilisant des réseaux français pour acheminer leur trafic vers les utilisateurs finaux. Ce « droit de passage » serait calculé sur la base du volume de données transmises, avec un montant de 12 000 euros par gigabit/seconde d’utilisation moyenne annuelle. Cependant, cette taxe ne concernerait que les entreprises générant un trafic supérieur à 1 Gbit/sec, excluant ainsi les petits fournisseurs de contenus.
Ce dispositif viserait avant tout les grands acteurs du numérique, souvent surnommés « Big Tech », tels que Netflix, Google ou Amazon, responsables de la majeure partie du trafic internet en France. Selon les estimations du régulateur des télécoms, cette contribution pourrait atteindre un total de 550 millions d’euros par an, avec des factures spécifiques de 84 millions d’euros pour Netflix et 55 millions d’euros pour Google, en fonction de leur trafic respectif.
Un débat sur l’équité du financement des infrastructures
La justification avancée par Jean-Philippe Tanguy repose sur le fait que les fournisseurs de contenus bénéficient largement des infrastructures de communication, tout en contribuant peu à leur maintenance. Le député explique que ces plateformes numériques « ne participent presque en rien aux investissements et aux coûts d’entretien alors que leur activité est totalement dépendante de l’existence et de la qualité de l’infrastructure ». En d’autres termes, il accuse ces géants du web d’agir comme des « passagers clandestins » qui profitent d’un réseau payé par les consommateurs et les contribuables à travers leurs impôts et abonnements internet.
Pour les opérateurs, cet amendement représente une opportunité de rééquilibrer la balance. Ils estiment que l’augmentation massive du trafic liée aux services de streaming pèse lourdement sur les infrastructures, obligeant à d’importants investissements pour maintenir la qualité de service. En forçant les fournisseurs de contenus à contribuer financièrement, les opérateurs espèrent dégager des ressources supplémentaires pour financer ces infrastructures, sans alourdir davantage la facture des consommateurs.
Une mesure controversée pour les plateformes de streaming
Si cet amendement est perçu comme une victoire par les opérateurs télécoms, il soulève des inquiétudes parmi les fournisseurs de contenus. Ces derniers pourraient répercuter les coûts supplémentaires sur les abonnés, ce qui pourrait conduire à une augmentation des prix des services de streaming en France. De plus, certains acteurs de l’industrie estiment que cette taxe pourrait freiner l’innovation et réduire la diversité des contenus en ligne, en particulier pour les nouveaux entrants sur le marché, qui n’ont pas les mêmes moyens financiers que les géants du streaming.
Enfin, il reste à voir si cet amendement passera le cap législatif et comment il s’intégrera dans les discussions européennes sur le « fair share ». La Commission européenne travaille en effet sur un projet similaire visant à faire contribuer les grandes plateformes à l’entretien des infrastructures numériques, mais les discussions sont complexes, notamment en raison des réticences des géants du web et des préoccupations concernant l’impact sur les consommateurs.
Un tournant pour le financement du numérique ?
Cet amendement représente une étape importante dans la réflexion autour du financement des infrastructures numériques en France et en Europe. Alors que le trafic internet continue de croître, alimenté par le succès des plateformes de streaming, la question de savoir qui doit payer pour l’entretien des réseaux devient cruciale. Si cette proposition est adoptée, elle pourrait redéfinir les règles du jeu entre opérateurs télécoms et fournisseurs de contenus, avec des implications potentiellement majeures pour les consommateurs et l’industrie du streaming. Le débat est lancé, et ses répercussions pourraient être ressenties bien au-delà des frontières françaises.