Les tensions entre Spotify et les éditeurs de musique franchissent un nouveau cap. Alors que la plateforme de streaming vient tout juste d’annoncer son premier bénéfice net annuel, la National Music Publishers’ Association (NMPA) lance un plan de retraits massifs d’épisodes de podcasts hébergeant des extraits musicaux non autorisés. À la clé, plusieurs milliers de suppressions annoncées, impactant directement l’offre audio disponible pour les utilisateurs.
Un conflit ancien, relancé par l’explosion des podcasts
Le différend ne date pas d’hier : les éditeurs et les auteurs-compositeurs se plaignent depuis longtemps d’utilisations non déclarées de leurs œuvres sur Spotify, que ce soit dans des podcasts ou des livres audio. L’an dernier, la NMPA accusait déjà la plateforme d’être engagée dans une « violation directe » en hébergeant des contenus musicaux non licenciés. Le nouveau front ouvert concerne le vaste écosystème du podcasting, en forte croissance et désormais source de revenus significatifs pour les créateurs.
Selon la NMPA, Spotify aurait été averti depuis des mois de ces irrégularités, sans action concrète de sa part.
La riposte de Spotify : minimiser l’initiative de la NMPA
De son côté, Spotify rejette la faute sur la NMPA, estimant qu’il s’agit d’un simple « coup de presse », d’autant plus que les éditeurs auraient attendu plusieurs mois pour fournir la liste des œuvres concernées. La plateforme se défend en rappelant qu’elle gère déjà un grand nombre de demandes de retrait émanant des ayants droit et qu’elle supprime les contenus litigieux dès réception des signalements. Elle souligne également que le procès initial intenté par la Mechanical Licensing Collective (MLC) a été rejeté, signe, selon Spotify, d’une absence de fondement juridique solide.
Néanmoins, cette position défensive ne masque pas l’enjeu central : la monétisation de la musique dans les podcasts doit impérativement s’effectuer dans un cadre contractuel clair. Sur un marché particulièrement dominé par le contenu généré par les utilisateurs (UGC), la plateforme doit démontrer sa volonté de coopérer avec l’industrie de la musique pour conserver son attractivité et éviter une multiplication des actions en justice.
Des répercussions potentiellement majeures pour les créateurs
Les 2 500 premières détections de contrefaçon ne sont qu’un début. La NMPA affirme que de nombreux autres épisodes de podcasts enfreignent les droits d’auteur. Cette campagne de retraits intervient au moment où les podcasts, parfois enrichis d’extraits musicaux, deviennent un produit de plus en plus populaire et monétisable. Pour les animateurs, l’obligation de vérifier chaque utilisation musicale peut devenir un casse-tête administratif, voire un frein à la création.
Par ailleurs, la NMPA encourage les podcasteurs eux-mêmes à faire pression sur Spotify pour obtenir un meilleur respect de la propriété intellectuelle, arguant que « les animateurs de podcasts devraient défendre leurs collègues créateurs ». Une manière de souligner que l’industrie musicale n’est pas la seule concernée par ces violations : tout l’écosystème de la création est potentiellement touché.
Accord « livres audio-musique » : un précédent
Cette initiative intervient dans le prolongement de la plainte déposée par la NMPA en juin dernier, visant un accord de « regroupement » entre la musique et les livres audio proposé par Spotify. Cet accord prévoyait, selon la NMPA, une « redevance mécanique inférieure » pour les auteurs-compositeurs. Le mois dernier, toutefois, la plateforme a noué un nouvel accord pluriannuel avec Universal Music, jugé « prometteur » par la NMPA, même si les détails restent à affiner.
Un challenge pour le modèle économique de Spotify
Pour Spotify, ces retraits constituent un test crucial de sa capacité à maintenir un équilibre entre la gratuité (ou la simplicité) d’accès au contenu pour les podcasteurs et la juste rémunération des ayants droit. La plateforme se veut depuis longtemps un espace de diffusion majeur pour les créateurs de podcasts, proposant divers outils pour monétiser ou promouvoir leurs productions. Si les procédures de retrait se multiplient, Spotify risque d’y perdre en diversité de contenus et d’alimenter un climat de méfiance.
En filigrane, c’est le rapport de force entre les géants du streaming et les maisons d’édition musicale qui se rejoue. Les contrats de licence négociés à l’échelle internationale sont complexes, et les litiges fréquents quant à la juste rémunération des artistes. L’essor fulgurant des podcasts n’a fait que mettre en lumière des failles déjà existantes dans la gestion des droits.
Perspectives : une standardisation des licences dans le podcasting ?
La NMPA préconise une solution à long terme : une obligation claire pour chaque plateforme (dont Spotify) de détecter et de licencier toutes les utilisations musicales, y compris dans les podcasts. Cela pourrait passer par des outils d’empreinte sonore plus performants et par une collaboration étroite avec les éditeurs. En retour, les créateurs audio seraient assurés que leurs œuvres sont légalement protégées et rémunérées.
Reste à savoir si cette initiative de retrait poussera réellement Spotify à intensifier son dialogue avec la NMPA, ou si, au contraire, elle inaugurera une vague de contentieux plus vaste. Dans tous les cas, la question des licences musicales dans les podcasts n’en est qu’à ses débuts : on peut s’attendre à ce que d’autres groupes de pression défendent, à leur tour, la cause des détenteurs de droits pour clarifier une zone grise persistante de l’économie du streaming.