Le 8 février marque l’échéance d’un accord triennal dont l’importance est capitale pour la filière cinématographique française. D’un côté, les plateformes de streaming — Netflix, Disney+, Amazon Prime Video — espèrent réduire le délai qui sépare la sortie d’un film en salles de son apparition sur leurs catalogues. De l’autre, les exploitants et diffuseurs traditionnels, dont CANAL+, veillent à maintenir des fenêtres suffisamment longues pour préserver l’attractivité de la salle de cinéma et encourager l’investissement dans la création nationale. En toile de fond, le gouvernement observe avec attention les négociations, conscient que les arbitrages rendus influeront durablement sur la chaîne de financement du 7e art.
Une négociation déterminante pour toutes les parties
Le principe de la « chronologie des médias » est simple : plus un acteur investit dans la production audiovisuelle, plus il peut diffuser un film rapidement après sa sortie en salle. Dans la situation actuelle, Netflix bénéficie d’un créneau à 15 mois, Disney+ et Amazon Prime Video d’un créneau à 17 mois, tandis que CANAL+ jouit d’une fenêtre très avantageuse à 6 mois — récompense de son implication financière historique dans la production française et européenne.
Or, les règles du jeu viennent d’être renégociées. Les grandes plateformes, Disney en tête, estiment que leurs efforts économiques doivent leur permettre un accès plus rapide aux œuvres. L’idée directrice : investir davantage pour avancer les délais de diffusion, mais pas au point de reproduire le « privilège » de CANAL+.
Disney, un enjeu majeur pour la création européenne
Avec la généralisation des plateformes, les préoccupations liées à la diversité culturelle et à la survie du cinéma local n’ont jamais été aussi vives. Dans ce contexte, Disney+ cherche à démontrer un engagement fort envers la production tricolore et continentale : si la firme américaine affiche des velléités d’investir davantage dans les œuvres locales, elle entend en contrepartie obtenir un raccourcissement de la fenêtre de diffusion.
Au départ, il se disait qu’une égalité parfaite avec CANAL+ (soit 6 mois) était envisagée. Désormais, un compromis autour de 9 mois semble prendre forme, selon plusieurs sources. Sur le plan financier, Disney mettrait la main à la poche plus généreusement — potentiellement une quarantaine de millions d’euros annuels pour les films, contre une quinzaine aujourd’hui — tout en proposant des mesures de protection spécifiques, notamment en faveur de l’animation française.
CANAL+ en équilibre entre tradition et mutation
Longtemps considérée comme la championne de la chronologie des médias, CANAL+ négocie aussi un virage délicat. Avec la perspective de quitter la TNT pour certaines de ses chaînes payantes, l’enseigne doit repenser ses besoins de financement et le rythme auquel elle diffuse les films. Si la concurrence des plateformes redouble d’intensité, la chaîne cryptée pourrait accepter de monter à 9 mois, à condition de revoir à la baisse sa participation dans le cinéma français. Pour l’heure, rien n’est acté, mais ce débat illustre la complexité de ces arbitrages : toute modification d’une fenêtre de diffusion s’accompagne souvent d’une révision du montant des investissements.
L’avenir du cinéma français en filigrane
Au-delà des discussions techniques, ce sont l’équilibre et la vitalité du cinéma français qui se jouent lors de ces tractations. Les réalisateurs, producteurs et ayants droit misent sur une chronologie des médias suffisamment encadrée pour que les salles de cinéma conservent leur rang de locomotive culturelle, tout en préservant les budgets nécessaires au développement d’œuvres originales. Les plateformes, elles, souhaitent accélérer la disponibilité des contenus pour répondre à des abonnés de plus en plus impatients, habitués à visionner films et séries en un clic.
Il est donc nécessaire à l’heure actuelle de trouver un consensus tenant compte des spécificités économiques de chaque acteur. Les observateurs soulignent que l’accord actuel, dont la fin approche, aura été une première étape dans l’intégration des plateformes étrangères au modèle français. Le prochain accord, s’il est effectivement conclu en février, aura la lourde tâche de pérenniser la production locale et de clarifier les règles d’accès aux films. Parmi les questions non résolues figure également la place des exploitants, qui redoutent de voir le public délaisser la salle s’il peut visionner rapidement les nouveautés depuis chez lui.
En définitive, la chronologie des médias reste le fruit d’un équilibre entre la rentabilité à court terme et la préservation d’une industrie culturelle pérenne. Ce qui se décidera à l’approche du 8 février pourrait profondément redessiner l’avenir du cinéma français — tant dans sa relation à Hollywood que dans la sauvegarde de sa singularité créative.