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Canal+ menace de réduire ses investissements : tensions autour de la chronologie des médias

Le groupe Canal+, grand financeur du cinéma français, brandit la menace d’une réduction de ses investissements, alors même que Disney+ vient d’officialiser un accord qui lui permet de diffuser ses films seulement neuf mois après leur sortie en salles. Cette évolution, qui s’inscrit dans le cadre du système de la « chronologie des médias », suscite des crispations. Canal+ estime ne plus avoir les mêmes avantages que par le passé, au regard de l’effort financier d’autres acteurs du streaming, et remet donc en question l’enveloppe annuelle de 220 millions d’euros qu’il alloue au secteur.

Le rôle déterminant de Canal+ dans le cinéma français

Depuis des années, Canal+ soutient activement la production cinématographique en France, en allouant environ 220 millions d’euros par an. En contrepartie, la chaîne bénéficie d’une fenêtre de diffusion avancée : six mois seulement après la sortie des films en salle. Ce mécanisme, appelé « chronologie des médias », garantit des financements importants pour les producteurs et permet à Canal+ de proposer une programmation de qualité à ses abonnés.

Avec l’arrivée sur le marché de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video ou encore Apple TV+, la chronologie des médias a été aménagée en 2022 afin d’intégrer ces grandes plateformes de streaming. Chaque acteur doit désormais contribuer financièrement au cinéma français pour obtenir un accès plus ou moins rapide à la diffusion de nouvelles œuvres.

Un modèle ébranlé

Or, depuis quelque temps, ces règles sont en débat : Netflix, par exemple, a signé pour 50 millions d’euros d’investissement annuels, ce qui lui donne une fenêtre de diffusion de quinze mois. La plateforme américaine souhaiterait cependant réduire ce délai à douze mois. Plus récemment, Disney+ a conclu un accord qui lui permet de diffuser ses films dès neuf mois après leur sortie en salles, moyennant une hausse de ses apports au secteur français. Face à cette situation, Canal+ juge le système déséquilibré et trop favorable à Disney+.

Disney+ décroche neuf mois : la réaction de Canal+

Mercredi, Disney+ a dévoilé un compromis : ses investissements annuels dans la production française passeraient à 25 % de son chiffre d’affaires net en France (soit un peu plus de 45 millions d’euros par an, selon les estimations de la plateforme et des organisations professionnelles). Résultat : la fenêtre de diffusion est ramenée à neuf mois, au lieu de dix-sept mois auparavant.

Cette annonce a immédiatement suscité la colère de Canal+. Maxime Saada, président du groupe, a contesté la somme de 45 millions d’euros, parlant plutôt de « 38 millions » sur une moyenne de trois ans. Dans tous les cas, cela reste très en dessous des 220 millions d’euros que Canal+ investit chaque année.

Pour Maxime Saada, la logique est simple : si Disney+ peut diffuser ses contenus à neuf mois en ne finançant qu’une fraction de ce que met Canal+ sur la table, pourquoi Canal+ continuerait-il à dépenser autant ? Selon lui, la « chronologie des médias » ne reflète plus l’importance relative de chacun sur le marché. De ce fait, le dirigeant estime que les 220 millions d’euros d’investissement annuel « ne sont plus sur la table » et qu’un ajustement à la baisse est inévitable.

Un secteur redoutant la perte d’un soutien massif

Si Canal+ concrétise sa menace, le cinéma français serait privé d’une part substantielle de ses ressources. Traditionnellement, le groupe crypté est le plus gros contributeur privé dans l’Hexagone. Pour le secteur, perdre 100 ou 150 millions d’euros représenterait un choc majeur, risquant de fragiliser nombre de projets.

Maxime Saada souligne cependant que ces 220 millions vont bien au-delà des obligations légales de Canal+. En effet, le groupe pourrait choisir de faire jouer les règles qui calculent le montant à investir en fonction du seul chiffre d’affaires réalisé avec le cinéma (et non plus l’ensemble de son offre). Un repositionnement de Canal+ vers une offre plus centrée sur le sport permettrait mécaniquement de réduire ses engagements.

La question se pose désormais aux différentes branches de la profession : soutenir Canal+ et son investissement massif, quitte à conserver un modèle où l’entreprise reste incontournable ? Ou bien diversifier les financements en faisant davantage appel aux plateformes américaines, au risque de réduire l’apport initial du groupe français ? La ministre de la Culture, Rachida Dati, a confirmé qu’un nouvel accord interprofessionnel est « mis en signature ». Reste à savoir si les organisations de producteurs et de réalisateurs jugeront que l’apport de Netflix, d’Amazon, de Disney+ et des autres suffit pour compenser une possible baisse chez Canal+.

Quel avenir pour la chronologie des médias ?

La chronologie des médias était historiquement conçue pour protéger l’exploitation des œuvres dans les salles obscures, avant de les proposer en vidéo à la demande (VOD), puis à la télévision. Mais l’explosion du streaming a bouleversé la donne, forçant chaque acteur à négocier des droits de diffusion plus tôt, moyennant des contreparties financières.

Canal+ a longtemps profité de ce système, avant de devenir lui-même l’objet de critiques : le groupe se retrouvent face à des concurrents internationaux aux moyens colossaux, prêts à investir tout en aspirant à réduire leurs propres délais de diffusion.

L’équilibre des forces en question

Le différend entre Canal+ et Disney+ illustre la difficulté à maintenir un équilibre satisfaisant pour toutes les parties. D’un côté, les plateformes de streaming souhaitent bénéficier d’une fenêtre de diffusion précoce, ce qui les incite à signer des accords ; de l’autre, Canal+ rappelle qu’il demeure le premier financeur du cinéma français. À terme, si la balance penche trop en faveur des nouveaux entrants, l’investissement historique de Canal+ pourrait fondre, et l’ensemble de l’écosystème en pâtirait.

La conclusion du nouvel accord interprofessionnel pourrait offrir un cadre plus clair. Néanmoins, il est évident que la position de Canal+ sera difficile à tenir s’il se sent lésé dans le partage des avantages. Dans un marché devenu très compétitif, chaque mouvement d’un acteur majeur, qu’il s’agisse de baisser ou d’augmenter ses investissements, peut avoir des répercussions importantes sur le financement et la diffusion des œuvres cinématographiques en France.

La menace de Canal+ de réduire fortement sa contribution au cinéma français résulte donc d’un déséquilibre croissant dans la chronologie des médias : l’arrivée de plateformes comme Disney+ ou Netflix, prêtes à investir moins tout en obtenant des fenêtres de diffusion rapprochées, fragilise l’édifice financier patiemment construit par le groupe crypté depuis des décennies. Au-delà des questions économiques, c’est tout un écosystème qui se voit secoué, alors que le nouveau cadre juridique en discussion doit rapidement trouver un consensus pour permettre au cinéma tricolore de continuer à prospérer. Reste à savoir si la manne des plateformes remplacera ou non celle de Canal+, sans porter atteinte à la diversité et à la vitalité de la production française.

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