Les révélations autour de TikTok continuent de s’accumuler, alimentant un climat de méfiance aux États-Unis. Le procureur général de l’Utah, Sean Reyes, a déposé l’an dernier une plainte accusant la plateforme, propriété de la société chinoise ByteDance, d’exploiter des enfants et de favoriser la diffusion de contenus sexuellement explicites lors de diffusions en direct. Dernièrement, des documents judiciaires partiellement expurgés, rendus publics à la mi-janvier, jettent une lumière crue sur la façon dont TikTok aurait, selon l’Utah, « consciemment laissé faire » en dépit de constats internes alarmants.
Des diffusions en direct à haut risque
Le point névralgique de la plainte concerne la fonctionnalité Live, qui permet à des utilisateurs d’émettre en direct devant un public. Selon l’Utah, TikTok savait dès 2021 que des centaines de milliers de jeunes âgés de 13 à 15 ans contournaient aisément la limite d’âge minimale pour lancer ou participer à des Lives.
L’enquête interne de TikTok — baptisée “Project Meramec” selon les documents de justice — aurait mis en évidence un phénomène de « grooming » : des adultes incitaient des mineurs à réaliser des gestes inappropriés, parfois à connotation sexuelle, en échange de « cadeaux virtuels ».
Toujours selon la plainte, TikTok aurait eu connaissance d’autres dérives : blanchiment d’argent, ventes de drogues, ou encore financement du terrorisme via la fonction Live. Le “Project Jupiter”, lancé en 2021, aurait dressé un portrait accablant d’un service où les infractions pullulaient, sans contrôle efficace.
Les allégations de l’Utah
Pour le procureur Sean Reyes, TikTok est allé jusqu’à créer une forme de « club de strip-tease virtuel » entre utilisateurs mineurs et prédateurs, en temps réel. Les récentes déclarations officielles de l’Utah soulignent que TikTok aurait préféré profiter financièrement de l’activité intense sur Live, plutôt que de mettre en place des mesures de protection suffisantes.
Le juge d’État Coral Sanchez a ordonné en décembre la publication d’une partie des informations internes de TikTok, jusque-là tenues confidentielles. Celles-ci corroboreraient les propos du procureur sur la connaissance précise qu’aurait eue la plateforme de ces dérives, en dépit de promesses de modération.
Le point de vue de TikTok
De son côté, TikTok s’inscrit en faux contre les accusations d’inaction. Un porte-parole du réseau social a rappelé, dans un communiqué, que la société avait implémenté des fonctionnalités de contrôle parental, restreint l’accès au Live aux plus de 16 ans, et engagé davantage de modérateurs pour les directs. Il estime que les citations mises en avant par l’Utah sont « sélectionnées et hors contexte », laissant entendre que les documents internes se basent sur d’anciens constats, et non sur la situation actuelle.
Un contexte juridique et politique explosif
Cette plainte de l’Utah s’inscrit dans une vague plus large de procès intentés par plusieurs États américains contre TikTok. La plateforme est régulièrement accusée de porter atteinte au bien-être psychologique des jeunes, et de représenter un risque potentiel pour la sécurité nationale en raison de ses liens avec ByteDance, basée en Chine.
Le gouvernement fédéral, via une loi signée par le président Joe Biden, a déjà fait un pas vers une éventuelle interdiction totale de TikTok sur le territoire américain si ByteDance ne cède pas ses activités. Une décision de la Cour suprême est attendue dans les prochains mois, suscitant l’intérêt des défenseurs des libertés numériques, inquiets de voir un réseau social de premier plan potentiellement banni.
Perspectives proches
À l’heure actuelle, TikTok multiplie les initiatives de communication pour rassurer les autorités : audits indépendants, hébergement de données sur le sol américain, restrictions d’accès pour les mineurs… Reste à savoir si cela suffira à dissiper les doutes et éviter un bannissement. Le procès intenté par l’Utah est un signal fort : l’inaction ou le laxisme présumés peuvent valoir aux plateformes des poursuites pénales et civiles de la part des États. C’est donc un tournant majeur pour TikTok, qui pourrait influencer durablement la manière dont les réseaux sociaux encadrent la diffusion en direct et protègent leurs jeunes utilisateurs.