Dans un retournement inattendu, Donald Trump, fraîchement réélu à la Maison-Blanche, a déposé une requête auprès de la Cour suprême pour suspendre l’interdiction imminente de TikTok. Il s’agit d’un changement de cap spectaculaire pour l’ancien président, qui, lors de son premier mandat en 2020, souhaitait au contraire bloquer l’application et forcer sa vente à des intérêts américains. Son équipe justifie ce nouveau positionnement par un désir de « sauver » une plateforme sur laquelle sa campagne a généré « des milliards de vues ».
Des alliés républicains réfractaires
Le choix de Trump crée une fracture au sein même du Parti républicain. De nombreux élus, précédemment favorables à une ligne dure face à la Chine, appuient l’interdiction votée par le Congrès et signée l’an dernier par le président démocrate Joe Biden. Dans un mémoire adressé à la Cour suprême, 22 procureurs généraux d’États républicains estiment que TikTok représente une menace réelle : « Permettre à TikTok de fonctionner aux États-Unis sans couper ses liens avec le Parti communiste chinois expose les Américains au risque que Pékin accède et exploite leurs données. »
Mitch McConnell, ancien dirigeant républicain du Sénat, a quant à lui comparé le combat judiciaire de TikTok à celui d’un « criminel endurci recherchant un sursis d’exécution ». D’autres figures politiques républicaines ont exhorté la Cour suprême à soutenir l’administration Biden, qui défend la loi prévoyant la vente de TikTok ou son bannissement total au 19 janvier.
Un enjeu pour la liberté d’expression
Du côté de TikTok et de ByteDance, l’argument central est celui de la liberté d’expression. Plusieurs experts en sécurité nationale, à l’instar de Timothy Edgar de l’Université Brown, estiment que les risques d’atteinte au Premier amendement sont particulièrement élevés. « Si l’on considère qu’il y a 170 millions d’utilisateurs actifs de TikTok aux États-Unis, le volume de liberté d’expression menacé est sans précédent », souligne Edgar. Selon TikTok, autoriser l’interdiction de la plateforme reviendrait à permettre au Congrès de « bannir tout Américain de s’exprimer » dès lors qu’une « entité étrangère » serait perçue comme une influence potentielle.
La Cour suprême sous les projecteurs
Dans un climat de tensions entre Washington et Pékin, la Cour suprême se retrouve au cœur d’une affaire hautement symbolique. Sa majorité conservatrice, comprenant trois juges nommés par Trump lors de son premier mandat, doit trancher entre les préoccupations de sécurité nationale et la protection de la liberté d’expression, pierre angulaire de la Constitution américaine. L’administration Biden, elle, souligne que le volume de données sensibles traitées par l’application – allant de la localisation en temps réel aux messages privés – expose potentiellement les utilisateurs à de graves dérives.
Vers une issue incertaine
Si la Cour suprême valide la loi actuelle, l’application pourrait disparaître des principaux magasins d’applications mobiles (App Store et Google Play) dès le 19 janvier. Au fil du temps, TikTok deviendrait inexploitable, faute de mises à jour de sécurité. Cette perspective alarme de nombreux créateurs de contenu, pour qui TikTok représente une source de revenus et une tribune importante.
La décision à venir aura sans doute un impact majeur sur l’équilibre entre contrôle de la souveraineté numérique et respect du Premier amendement. Quels que soient le verdict et ses justifications, ce dossier pourrait poser un précédent incontournable pour d’autres services numériques d’origine étrangère, comme la messagerie Telegram. Au-delà de TikTok, c’est l’avenir de l’Internet ouvert qui se joue peut-être dans l’enceinte du plus haut tribunal américain.