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La France utilise une loi stricte et non testée sur la cybercriminalité pour cibler Durov de Telegram

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Lorsque les procureurs français ont décidé de cibler Pavel Durov, le fondateur de Telegram, ils avaient à leur disposition une arme législative sans précédent : une nouvelle loi, la LOPMI, qui criminalise les responsables des grandes plateformes technologiques dont les services permettent des activités ou transactions illégales.

Promulguée en janvier 2023, cette loi place la France à l’avant-garde mondiale en matière de lutte contre la cybercriminalité. Pourtant, malgré son caractère révolutionnaire, la loi n’a pas encore été testée devant les tribunaux, mais surtout aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour.

La LOPMI un texte indédit pour contrer les plateformes criminelles

La LOPMI (Loi d’Orientation et de Programmation du Ministère de l’Intérieur) est dans la lignée de la volonté des autorités françaises de durcir le ton face à la cybercriminalité. Cette loi permet notamment de poursuivre les responsables de plateformes numériques pour complicité dans l’administration de ces plateformes si elles facilitent des activités criminelles. Ainsi, Durov est accusé de « complicité dans l’administration d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite, dans un gang organisé », une infraction passible de 10 ans de prison et de 500 000 euros d’amende.

Toutefois, être placé sous enquête officielle, comme l’est actuellement Durov, ne signifie pas que l’affaire aboutira nécessairement à un procès ou à une condamnation. Ce statut reflète simplement la conviction des juges qu’il existe suffisamment de preuves pour justifier une enquête approfondie. Ces investigations peuvent durer des années avant de mener, ou non, à un procès.

Telegram, un « paradis anarchique » ?

Durov nie catégoriquement les accusations, affirmant que Telegram respecte scrupuleusement les lois de l’UE. Il dénonce comme « absurde » l’idée que son entreprise ou lui-même puissent être tenus pour responsables des abus commis sur la plateforme par des tiers. Cette défense souligne un point central du débat : jusqu’à quel point un opérateur de plateforme numérique peut-il être tenu pour responsable des actions illégales de ses utilisateurs ?

Aux États-Unis, par exemple, les procureurs peuvent inculper un dirigeant comme « co-conspirateur » s’il est prouvé qu’il avait l’intention de faciliter ces crimes, comme ce fut le cas avec Ross Ulbricht, le fondateur du site criminel Silk Road, condamné à la prison à perpétuité en 2015. Cependant, selon les experts américains, une telle condamnation serait difficile à obtenir pour Durov sans preuve explicite qu’il connaissait les activités illégales sur Telegram et qu’il les facilitait activement.

Une loi qui fait débat

La loi LOPMI est unique dans le monde occidental. Des experts juridiques ont souligné qu’aucune législation équivalente n’existe dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, où la responsabilité des plateformes numériques reste plus limitée. Certains estiment que la loi française représente une approche agressive et pourrait poser problème si elle est mal appliquée. Pour des plateformes comme Telegram, qui comptent une large base d’utilisateurs respectueux de la loi, l’idée que l’entreprise puisse être tenue responsable des crimes d’une petite minorité de ses utilisateurs semble contestable.

Michel Séjean, professeur français de droit du numérique, défend toutefois la LOPMI, la qualifiant de nécessaire face à des entreprises qui, selon lui, ne coopèrent pas suffisamment avec les autorités. Selon Séjean, cette loi n’est pas une « arme nucléaire » mais plutôt un outil pour éviter l’impuissance des pouvoirs publics face à des plateformes numériques insaisissables.

L’origine de la LOPMI

La LOPMI trouve ses racines dans un livre blanc du ministère de l’Intérieur publié en 2020, qui soulignait la nécessité d’investissements massifs dans la cybersécurité pour répondre aux cybermenaces croissantes. Cette loi a été suivie d’une autre mesure en novembre 2023, qui a introduit la possibilité pour les autorités de géolocaliser en temps réel des personnes suspectées de crimes graves en activant à distance leurs appareils. Toutefois, la proposition d’allumer les caméras et les microphones des appareils suspects a été rejetée par le Conseil constitutionnel.

Ces lois donnent à la France des moyens parmi les plus puissants au monde pour lutter contre la cybercriminalité, comme en témoigne l’arrestation de Pavel Durov. Selon Sadry Porlon, avocat français spécialisé en droit des technologies, ces nouvelles dispositions législatives renforcent la capacité du pays à poursuivre des crimes en ligne, notamment les affaires de trafic de cartes de crédit, de pédopornographie ou encore les attaques par déni de service qui ciblent les entreprises et les gouvernements.

La cybercriminalité en ligne : un fléau difficile à endiguer

La loi LOPMI a d’ores et déjà permis des actions significatives. En juin, les autorités françaises ont fermé Coco, un forum de discussion anonyme impliqué dans plus de 23 000 procédures judiciaires pour des crimes graves tels que la prostitution, le viol et même l’homicide. L’affaire Coco a choqué la France, particulièrement avec le procès de Dominique Pelicot, accusé d’avoir recruté des hommes sur la plateforme pour violer sa femme après l’avoir droguée. Le propriétaire de Coco, Isaac Steidel, est lui aussi poursuivi pour « fourniture d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite par un gang organisé », une accusation semblable à celle qui pèse sur Pavel Durov.

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