L’IA bousculée par DeepSeek : le secteur technologique sous pression

Le marché boursier a vécu des journées particulièrement agitées sur fond d’incertitude autour de l’intelligence artificielle (IA). Lundi, Nvidia a perdu près de 17 % de sa valeur, soit environ 593 milliards de dollars de capitalisation, tandis que d’autres grands acteurs du semi-conducteur, de l’énergie et de l’infrastructure ont subi des pertes cumulées dépassant les 1 000 milliards de dollars. En cause, l’apparition d’un nouveau concurrent chinois, DeepSeek, qui prétend proposer un assistant d’IA à moindre coût, déclenchant un scepticisme mêlé de panique chez les investisseurs.

Un choc boursier inattendu

Nvidia, dont la domination dans la production de puces IA semblait acquise, a vu son cours chuter brutalement en une seule séance. Les investisseurs ont cédé à la panique à l’annonce qu’un nouvel acteur, DeepSeek, pourrait concurrencer les modèles d’IA américains avec des coûts très inférieurs. Bien que ce scénario soulève de nombreux doutes — les affirmations de DeepSeek n’ayant pas été formellement vérifiées — il a suffi à ébranler la confiance dans des valeurs jusque-là perçues comme des « must-have ».

Ce repli massif rappelle à quel point les capitaux restent concentrés sur une poignée de titres, souvent surnommés les « Magnificent Seven ». Avant ce lundi noir, ces géants de la tech (dont Nvidia, Microsoft et Apple) avaient vu leur capitalisation gonfler de près de 10 000 milliards de dollars depuis l’apparition de ChatGPT fin 2022. Un signe que l’engouement autour de l’IA peut à la fois doper les marchés et les fragiliser.

L’émergence de DeepSeek : une menace réelle ou exagérée ?

DeepSeek, la start-up chinoise à l’origine de la tourmente, commercialise un assistant IA censé utiliser moins de données à des prix inférieurs aux solutions existantes. Si cette annonce a fait vaciller la confiance en Nvidia et ses concurrents, beaucoup d’analystes évoquent un « excès de prudence ». Certains acteurs, comme Cody Acree de Benchmark Company, soulignent la nécessité pour les investisseurs de distinguer différentes gammes de puces : les besoins d’une IA ultra-performante resteront l’apanage des composants plus coûteux, tandis qu’un service moins avancé ne répondra pas aux exigences de modèles massifs (très gourmands en calcul). En d’autres termes, le développement de solutions low cost ne sonne pas forcément la fin des investissements dans des puces haut de gamme.

De plus, le PDG d’OpenAI, Sam Altman, salue la concurrence tout en restant convaincu qu’il est possible d’offrir des modèles « bien meilleurs » dans les mois à venir. Les déclarations d’Altman et d’autres figures influentes du secteur laissent entendre qu’une intensification de la concurrence pourrait même stimuler l’innovation, sans nécessairement faire plonger la demande en puces IA avancées.

Un marché volatile, entre correction et opportunités

La soudaine chute de valeurs technologiques a mis en lumière les risques associés à l’« IA mania ». Depuis deux ans, les entreprises liées de près ou de loin à cette technologie se négociaient à des multiples élevés, Nvidia culminant à près de 60 fois ses bénéfices avant sa dégringolade, alors que la moyenne du S&P 500 se situe autour de 22. Ce décalage se justifiait par les perspectives de croissance énormes, mais la moindre actualité négative — comme l’arrivée d’un concurrent chinois — peut déclencher une correction brutale.

Toutefois, la baisse des cours ramène également certaines capitalisations à des niveaux plus raisonnables, suscitant l’intérêt d’investisseurs à la recherche d’occasions. D’ailleurs, selon la société Vanda Research, les particuliers se sont rués sur les actions Nvidia après la chute de lundi, profitant d’un prix plus attractif. Ce dynamisme démontre la confiance persistante d’une partie du marché dans la croissance de l’IA, considérée comme un levier majeur de l’économie numérique de demain.

Perspectives et fragilités à moyen terme

Le rebond partiel de mardi (avec un regain de plus de 6 % pour Nvidia) illustre le caractère éphémère des réactions boursières face à des nouvelles incertaines. Dans l’immédiat, les investisseurs surveillent de près la communication des grands noms de la tech, dont Apple et Microsoft, qui doivent annoncer leurs résultats. Leurs dépenses en capital et leurs projets IA feront l’objet d’un intérêt tout particulier.

À plus long terme, une question demeure : jusqu’où la concurrence, notamment celle de DeepSeek et d’autres start-up chinoises, peut-elle remettre en cause la suprématie américaine ? De nombreux experts estiment que la « frontière » de l’IA — c’est-à-dire les plus grands modèles génératifs et les applications professionnelles sophistiquées — continuera d’exiger des puces haut de gamme, laissant une marge substantielle à Nvidia et ses homologues. En revanche, les marchés de masse et certains services moins exigeants en calcul pourraient se tourner vers des solutions plus économiques, impactant une part de leur chiffre d’affaires potentiel.

En définitive, l’épisode DeepSeek prouve qu’il n’existe aucune marge d’erreur pour des sociétés valorisées à des centaines de milliards de dollars. Un marché motivé par la moindre annonce autour de l’IA peut rapidement se retourner et sanctionner les valorisations les plus élevées. À mesure que l’IA se généralise, la tension concurrentielle risque de s’accentuer encore, promettant un paysage industriel en constante ébullition. Les gagnants seront sans doute ceux qui sauront transformer la pression concurrentielle en une force d’innovation durable.