Le département américain du Commerce vient de mettre en application une mesure forte : l’interdiction du modèle d’intelligence artificielle chinois DeepSeek sur les équipements gouvernementaux. Selon un message interne, consulté par Reuters, et confirmé par deux sources proches du dossier, ce bannissement s’inscrit dans un contexte de crainte grandissante quant à la collecte de données sensibles. Dans un courriel adressé au personnel, l’administration précise ainsi que tout téléchargement ou accès, même visuel, à l’IA chinoise est proscrit.
« Pour aider à assurer la sécurité des systèmes d’information du ministère du Commerce, l’accès à la nouvelle IA DeepSeek basée en Chine est largement interdit sur tous les GFE », avertit le message, faisant référence aux appareils fournis par le gouvernement (Government-Furnished Equipment). Cette décision, dévoilée publiquement le 17 mars, souligne la méfiance de plus en plus prégnante des autorités américaines à l’égard des solutions technologiques de sociétés liées à la Chine.
Des inquiétudes sur la souveraineté numérique
DeepSeek a récemment bousculé les marchés boursiers mondiaux, provoquant un vent de panique parmi les investisseurs en janvier dernier. Son modèle d’IA “low cost” et la perspective d’une adoption massive ont laissé craindre une remise en question de l’avance technologique américaine dans le domaine de l’IA.
Derrière cette méfiance, se dessinent plusieurs problématiques. L’une des plus importantes concerne la confidentialité et la sécurité des données. Les élus américains pointent du doigt la possibilité que, via DeepSeek, des informations sensibles soient “aspirées” par le Parti communiste chinois. Les hypothèses vont de la collecte de documents confidentiels à l’accès à des contrats de défense ou des dossiers financiers critiques pour la sûreté de l’État.
Une vague d’interdictions dans tout le pays
Le département du Commerce n’est pas seul à adopter une ligne dure à l’égard de DeepSeek. Des responsables gouvernementaux et des membres du Congrès se sont déjà mobilisés pour faire front. Les représentants Josh Gottheimer et Darin LaHood, membres du Comité spécial permanent sur le renseignement de la Chambre, ont déposé un projet de loi en février visant à proscrire l’usage de l’IA chinoise sur les appareils d’État. Dans la foulée, ils ont également adressé des courriers à plusieurs gouverneurs pour leur demander d’interdire la plateforme au sein de leurs administrations.
Dans une lettre datée du 3 mars, ces mêmes législateurs mettent en garde : « En utilisant DeepSeek, les utilisateurs partagent sans le savoir des informations hautement sensibles et exclusives avec le PCC — telles que des contrats, des documents et des dossiers financiers. Entre de mauvaises mains, ces données sont un énorme atout pour le PCC, un adversaire étranger connu. »
Un bras de fer fédéral et local
La pression ne se limite pas à Washington. De nombreux États, parmi lesquels la Virginie, le Texas et New York, ont déjà sauté le pas en interdisant DeepSeek sur les appareils gouvernementaux. Par ailleurs, une coalition de 21 procureurs généraux d’États a sollicité le Congrès pour qu’il légifère au plus vite et renforce ces mesures de bannissement à l’échelle nationale.
Cette offensive coordonnée s’explique notamment par la volonté d’éviter tout fossé dans la cybersécurité des institutions américaines. Les défenseurs de l’interdiction totalisent un large éventail d’élus préoccupés par les risques de fuites d’informations critiques, d’espionnage industriel ou d’ingérence étrangère.
Une mesure de précaution… ou une escalade ?
Si l’interdiction d’installer ou de consulter DeepSeek sur les appareils du département du Commerce semble logique du point de vue de la sécurité, elle soulève néanmoins quelques interrogations quant à la liberté d’accès à l’innovation. Certains experts du numérique s’inquiètent du climat de surenchère qui entoure les relations sino-américaines, craignant que ce filtrage systématique n’entrave les échanges scientifiques et techniques.
D’autres considèrent au contraire qu’il s’agit d’une protection impérative de la souveraineté numérique, étant donné la sensibilité des données gouvernementales.
Alors que la compétition acharnée pour le leadership en intelligence artificielle file bon train, tout accès potentiel à des informations stratégiques par une puissance rivale est perçu comme une menace directe.
Un avertissement pour le futur de l’IA
Dans l’immédiat, il reste encore à déterminer l’étendue de cette interdiction dans l’ensemble du gouvernement américain. Quoi qu’il en soit, la mesure prise par le département du Commerce contre DeepSeek envoie un signal fort : les États-Unis ne comptent pas laisser la porte ouverte aux solutions technologiques considérées comme risquées pour leurs intérêts nationaux.
Plus généralement, cette affaire témoigne de la croissante méfiance à l’égard des innovations venues de Chine, que ce soit dans le domaine des télécommunications ou, comme ici, de l’IA. Alors que les compétiteurs se disputent la suprématie technologique mondiale, les questions de sécurité et de confidentialité pourraient façonner durablement les rapports de force. Les prochains mois diront si d’autres administrations, tant au niveau fédéral qu’étatique, rejoindront cette fronde contre DeepSeek… ou si le modèle parviendra à surmonter l’hostilité américaine en misant sur d’autres marchés.