Face à l’hégémonie des États-Unis et de la Chine dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), la France affiche son ambition de devenir un acteur majeur, sinon le leader européen, sur ce terrain stratégique. À l’issue d’un comité interministériel, Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’IA et du Numérique, a annoncé la mise à disposition de 35 sites « prêts à l’emploi » pour héberger de nouveaux data centers. Une décision qui vise à mieux accueillir les infrastructures de calcul indispensables au développement de l’IA générative, alors même que l’Hexagone ne compte actuellement qu’environ 250 data centers, loin derrière les États-Unis et leurs 2 000 centres de données.
Un enjeu de souveraineté numérique
En dévoilant ces emplacements totalisant près de 1 200 hectares, le gouvernement entend envoyer un signal fort : sans capacités de calcul à grande échelle, il est impossible de concevoir et de faire tourner des IA complexes, gourmandes en ressources informatiques. Cette dépendance, si elle n’est pas comblée, risque de freiner l’émergence de champions nationaux et européens de l’IA, laissant le champ libre aux acteurs américains et chinois. À l’heure où le marché se structure autour de solutions telles que ChatGPT (OpenAI) ou d’importants acteurs chinois, la maîtrise des ressources de calcul devient un élément clé de souveraineté et de compétitivité.
Investissements massifs et « wake-up call » européen
Depuis 2018, ce sont plus de 2,5 milliards d’euros qui ont été injectés en France pour soutenir la recherche et l’innovation dans l’IA. À présent, le gouvernement veut « accélérer » cette stratégie, notamment via un budget supplémentaire de 400 millions d’euros programmé pour 2025. Les collaborations avec l’Europe et le secteur privé, dont plusieurs grands groupes, devraient être officialisées lors du sommet mondial sur l’IA prévu à Paris la semaine prochaine. L’objectif : structurer un écosystème capable de rivaliser avec les géants extra-européens, tout en réaffirmant l’expertise et la créativité françaises.
Le secteur public comme vitrine
L’État veut également montrer l’exemple en déployant des solutions d’IA à grande échelle dans la fonction publique. Un « agent conversationnel » sécurisé, comparable à ChatGPT, sera mis à disposition des 5,7 millions d’agents publics pour faciliter leurs tâches administratives et la rédaction de documents. De plus, un appel à manifestation d’intérêt sera lancé dans le courant du premier trimestre 2025 pour encourager les entreprises spécialisées en IA à proposer des outils adaptés aux besoins de l’administration. L’enjeu ? Faire gagner du temps aux services publics, améliorer la productivité et soutenir des acteurs français émergents comme Mistral.
Prochaine étape : la course à l’adoption
Si la mise à disposition de 35 sites constitue un pas décisif, elle ne résout pas tous les défis auxquels la France fait face. L’accès à une énergie moins coûteuse et plus verte, la formation de talents en nombre suffisant ou encore la compétitivité des start-up dans la course internationale figurent en haut de l’agenda. Les 100 000 professionnels formés à l’IA espérés d’ici 2030 devront rivaliser avec la demande mondiale, toujours plus forte. Enfin, la question de la sécurisation des données et de la cybersouveraineté se posera avec acuité, comme en témoigne la récente décision de l’Australie d’interdire l’usage d’IA chinoises jugées à risque sur certains appareils officiels.
En définitive, cette stratégie française incarne la volonté de porter un « réveil » européen dans un secteur dominé par l’Amérique et l’Asie. Les sites dédiés aux data centers, associés à des investissements publics et privés massifs, pourraient bien devenir le socle de nouvelles avancées en IA générative. Reste à savoir si ce déploiement rapide favorisera l’émergence de géants français capables de tenir la dragée haute à leurs concurrents internationaux, tout en renforçant la souveraineté numérique de l’Hexagone.