Le secteur des télécoms est à la croisée des chemins. Alors que la cloudification des infrastructures progresse à grande vitesse, les opérateurs peinent encore à exploiter tout le potentiel de l’intelligence artificielle, freinés notamment par des préoccupations liées à la cybersécurité. C’est le constat dressé par une étude d’IBM en partenariat avec GSMA Intelligence, qui souligne les enjeux mais aussi les opportunités majeures pour un secteur qui change un peu plus chaque jour
La montée en puissance du cloud : flexibilité et réduction des coûts
La virtualisation des réseaux grâce au cloud computing est désormais une tendance incontournable. En permettant aux opérateurs de dématérialiser une partie de leurs infrastructures, cette technologie offre des gains significatifs en termes de réduction des coûts, de flexibilité et de rapidité de déploiement de nouveaux services.
Selon l’étude, 27 % des fonctions réseau des opérateurs sont désormais hébergées dans des clouds publics, tandis que 61 % restent dans des environnements privés ou sur site. D’ici trois ans, les investissements dans le cloud devraient augmenter de près de 20 %, confirmant que l’avenir des réseaux passera par une approche hybride mêlant cloud public et privé.
Toutefois, cette transition vers le cloud ne se fait pas sans heurts. 69 % des opérateurs français interrogés pointent du doigt le manque d’interopérabilité entre les fournisseurs de services cloud, un frein majeur qui limite la flexibilité des opérateurs et accentue leur dépendance à quelques grands acteurs technologiques. 58 % des dirigeants mondiauxredoutent également un verrouillage du marché, où les fournisseurs de cloud imposeraient des conditions restrictives à leurs clients télécoms.
L’Open RAN comme alternative aux géants du cloud
Face à cette dépendance croissante aux fournisseurs cloud, les opérateurs misent sur l’Open RAN (Radio Access Network), une initiative visant à standardiser les équipements télécoms et à favoriser l’interopérabilité entre les fournisseurs. Grâce à cette approche ouverte, les opérateurs peuvent s’affranchir des contraintes imposées par les équipementiers historiques comme Nokia, Ericsson ou Huawei et diversifier leurs partenaires technologiques.
Vodafone, l’un des pionniers de cette technologie, prévoit ainsi de déployer Open RAN sur 2 600 sites au Royaume-Uni. Selon Francisco Martín Pignatelli, responsable Open RAN chez l’opérateur britannique, cette approche est désormais prête pour un déploiement à grande échelle, même si des défis technologiques restent à relever pour assurer une qualité de service équivalente aux réseaux traditionnels.
IA : un potentiel encore sous-exploité
Si le cloud est devenu une évidence pour la majorité des opérateurs, l’intelligence artificielle, elle, reste encore sous-exploitée. Pourtant, son impact pourrait être considérable, notamment pour automatiser la gestion des réseaux, détecter les anomalies et optimiser les performances.
Aujourd’hui, 60 % des opérateurs utilisent l’IA pour surveiller leurs infrastructures, mais d’autres usages restent à la traîne : seulement 46 % ont recours à la maintenance prédictive, et à peine 43 % l’emploient pour planifier le déploiement de leur réseau.
L’IA générative, quant à elle, peine encore à trouver sa place. Actuellement, elle est principalement utilisée pour lutter contre les spams (33 %), la fraude (31 %) ou encore améliorer la planification des réseaux (30 %). Le potentiel de cette technologie est pourtant immense, notamment pour automatiser le support client, améliorer l’expérience utilisateur et renforcer la sécurité.
Mais alors, pourquoi les opérateurs tardent-ils à adopter ces nouvelles solutions ? 61 % des dirigeants interrogés citent la sécurité et la confidentialité des données comme le principal frein à l’adoption de l’IA. Plus de la moitié d’entre eux (53 %) évoquent également le rythme effréné des évolutions technologiques, qui rend difficile une mise en œuvre cohérente et efficace.
Le défi des compétences en IA et cybersécurité
Un autre obstacle majeur à l’adoption de l’IA réside dans le manque de compétences internes. Selon l’étude, seulement 26 % des équipes réseau des opérateurs possèdent des compétences en IA traditionnelle, et ce chiffre chute à 13 % pour l’IA générative.
Cette pénurie freine le développement d’outils basés sur l’IA, alors même que certains opérateurs commencent à expérimenter des solutions innovantes. Deutsche Telekom, par exemple, a développé un chatbot IA destiné à aider ses sous-traitants à déployer la fibre optique en fournissant en temps réel des recommandations adaptées aux conditions de terrain et aux réglementations locales.
Mais pour que ces initiatives se généralisent, il faudra former davantage de spécialistes en IA et créer des infrastructures capables d’exploiter pleinement ces technologies.
Cybersécurité : une menace omniprésente
Les préoccupations liées à la cybersécurité sont plus que jamais au cœur des débats. 55 % des opérateurs mondiaux déclarent avoir subi une cyberattaque au cours des 12 derniers mois. En France, ce chiffre grimpe à 59 %, illustrant la vulnérabilité croissante du secteur.
Les récents piratages de SFR, Free et Orange témoignent de la menace constante qui pèse sur les infrastructures télécoms. Selon l’étude, une violation impliquant plus de 50 millions d’enregistrements coûte en moyenne 375 millions de dollars, sans compter les dommages en termes de réputation et de confiance des clients.
Alors que l’expansion du cloud augmente la surface d’attaque des opérateurs, 42 % des dirigeants considèrent la cybersécurité comme un enjeu prioritaire pour les trois prochaines années. Pourtant, la fréquence des audits de sécurité reste inquiétante : seuls 36 % des opérateurs effectuent des tests de pénétration trimestriels, et 21 % ne le font que tous les deux ans. Un constat alarmant qui souligne la nécessité de renforcer les dispositifs de protection face à une menace quotidienne et qui trouve des ressources constamment.
Les opérateurs télécoms à l’aube d’une transformation profonde
Entre la montée en puissance du cloud hybride, l’essor encore timide de l’intelligence artificielle et l’explosion des cyberattaques, le secteur des télécoms est à un tournant décisif. Pour rester compétitifs, les opérateurs doivent accélérer leur transition numérique, renforcer la sécurité de leurs infrastructures et développer des stratégies IA adaptées à leurs enjeux métiers.
Les difficultéssont immenses, mais les opportunités le sont tout autant. Les prochains mois seront déterminants pour voir quels acteurs sauront tirer leur épingle du jeu et s’imposer dans cette nouvelle ère des télécoms. Une chose est sûre : ceux qui n’adopteront pas ces technologies risquent d’être rapidement dépassés.