La course à l’intelligence artificielle s’accélère, et Honor, ex-filiale de Huawei spécialisée dans les smartphones, ne compte pas rester en retrait. Depuis la scène du Mobile World Congress (MWC) à Barcelone, son PDG James Li a annoncé, ce dimanche, un plan d’investissement massif : 10 milliards de dollars injectés dans la R&D pour développer des dispositifs et services alimentés par l’IA au cours des cinq prochaines années. Avec en toile de fond la perspective d’une introduction en Bourse encore non datée, cette initiative marque un tournant stratégique pour la marque chinoise, longtemps perçue comme le “petit frère” de Huawei.
Objectif : élargir l’écosystème au-delà du smartphone
L’enjeu pour Honor est double. D’une part, la société souhaite multiplier les applications de l’IA dans l’écosystème existant (smartphones, tablettes, ordinateurs portables et montres connectées). D’autre part, la firme basée à Shenzhen ambitionne de développer de nouveaux appareils entièrement conçus pour exploiter la puissance de l’intelligence artificielle. L’idée ? S’imposer sur le marché mondial non seulement comme un fabricant de téléphones compétitif, mais également comme un écosystème technologique complet, capable de rivaliser avec les grandes plateformes occidentales ou asiatiques.
Selon James Li, cette mutation va s’appuyer sur plusieurs axes : la mise en place d’une architecture commune pour gérer les données et les algorithmes d’IA, l’optimisation de la chaîne logistique pour intégrer des puces spécialisées et la création d’un écosystème logiciel ouvert aux partenaires et développeurs tiers.
« Nous ne voulons pas seulement ajouter des fonctionnalités “intelligentes” à nos appareils », a souligné le PDG lors de son discours. « Notre ambition est de construire une nouvelle génération d’appareils pensés pour l’IA dès leur conception. »
Un coup de projecteur sur le détecteur de deepfake
Preuve de cette volonté d’innover, Honor a profité du MWC pour présenter un prototype de détecteur de deepfake intégrant un modèle d’IA capable de repérer les vidéos truquées. Installée en amont dans le smartphone, cette fonctionnalité analyserait en temps réel la cohérence des visages, des ombres ou du mouvement des lèvres afin d’identifier une falsification. Une bannière, visible dans le hall d’exposition, mettait en avant cette nouveauté, présentée comme une « première étape » vers un environnement numérique plus sûr.
Cet accent mis sur la sécurité pourrait se révéler stratégique : la prolifération des contenus générés par l’IA (textes, images, vidéos) soulève de plus en plus de questions éthiques et légales. Honor espère donc se positionner en acteur responsable, misant sur des solutions concrètes pour prévenir la désinformation et rassurer les utilisateurs.
Une dynamique de marché solide
L’annonce de Honor s’inscrit dans un contexte particulièrement dynamique : la Chine connaît un véritable boom de l’investissement en IA, encouragé par l’intérêt massif suscité par les grands modèles linguistiques de la startup DeepSeek. D’après plusieurs rapports, gouvernements locaux et groupes privés chinois se bousculent pour adopter ou améliorer ces technologies génératives, conscientes qu’elles pourraient révolutionner aussi bien la reconnaissance vocale que la création de contenus automatisés.
Cette effervescence bénéficie à Honor, qui peut s’appuyer sur un solide soutien des autorités de Shenzhen. Déjà en août dernier, Reuters rapportait l’existence de facilités accordées à Honor en matière de crédits de R&D, d’allègements fiscaux et de soutien logistique pour s’implanter sur les marchés internationaux. Selon certaines sources internes, cette aide pourrait représenter plusieurs centaines de millions de dollars, de quoi accélérer le développement des nouveaux dispositifs IA, tout en offrant un socle financier favorable pour une éventuelle IPO.
Reprendre la main sur un marché hyperconcurrentiel
Malgré ces aides et l’image positive laissée par ses origines chez Huawei, Honor doit gérer un environnement de plus en plus concurrentiel sur son marché domestique. Selon le cabinet IDC, la marque est passée de la deuxième à la quatrième place en 2024 pour les expéditions de smartphones en Chine, atteignant une part de marché de 14,9 %. Huawei, son ancienne maison-mère, est revenue en force avec des modèles haut de gamme compatibles 5G, tandis que Vivo a connu une croissance spectaculaire, séduisant notamment la jeunesse urbaine.
Face à ces rivaux de taille, Honor espère que son virage IA lui permettra de se distinguer : proposer des smartphones capables d’adaptations quasi instantanées aux usages de l’utilisateur, d’offrir des expériences immersives de réalité augmentée, ou encore de faciliter la création de contenus multimédias. Mais la marque ne compte pas s’arrêter au mobile : James Li insiste sur la nécessité de décloisonner l’expérience, en intégrant l’IA dans des produits comme les PC, les tablettes ou même les appareils domestiques.
Quelles perspectives pour l’introduction en Bourse ?
Le choix d’investir massivement dans l’IA n’est pas anodin à la veille d’une potentielle introduction en Bourse. À l’instar d’autres firmes technologiques chinoises, Honor doit afficher des arguments solides pour convaincre les investisseurs internationaux : une vision d’avenir, des brevets technologiques, une stratégie d’expansion mondiale et, bien sûr, des partenariats ambitieux.
Si la restructuration de l’actionnariat de Honor, finalisée en décembre dernier, la rapproche un peu plus d’une IPO, aucun calendrier officiel n’a cependant été communiqué. Dans l’industrie, nombreux sont ceux qui s’attendent à une annonce plus précise dans le courant de l’année, lorsque la société aura consolidé son offre autour de l’IA et engrangé de nouveaux partenariats.
Un pari risqué, mais potentiellement rentable
Reste à savoir si les 10 milliards de dollars annoncés suffiront à placer Honor en position de leader dans le domaine de l’IA grand public. L’enveloppe est considérable, mais la compétition se joue désormais à l’échelle planétaire, avec des géants comme Apple, Google ou Samsung multipliant eux aussi les investissements dans la recherche et l’innovation.
Néanmoins, Honor bénéficie d’un atout non négligeable : la proximité avec les soutiens institutionnels de Shenzhen et son ancrage dans l’une des capitales mondiales de la tech. Les 10 milliards de dollars pourraient ainsi servir d’effet de levier, attirant partenaires et talents internationaux en quête de projets d’envergure.
En définitive, cette annonce illustre la volonté de la marque chinoise de s’affranchir pleinement de l’ombre de Huawei. En pariant gros sur l’IA, Honor espère non seulement reconquérir des parts de marché dans le secteur des smartphones, mais aussi se poser en pionnier d’une nouvelle génération de dispositifs intelligents. Le déploiement d’un détecteur de deepfake n’est qu’un avant-goût : la bataille pour l’innovation, et la confiance des investisseurs, ne fait que commencer.