Alors que l’intelligence artificielle (IA) transforme peu à peu tous les secteurs économiques, Google se prépare à une vague de régulations dans plusieurs régions du monde. Dans ce contexte, le géant de Mountain View affiche une ambition claire : influencer la perception du public et des décideurs en investissant massivement dans des programmes de formation à l’IA. Pour Google, l’enjeu n’est pas seulement d’éviter des mesures trop coercitives : il s’agit surtout de consolider sa position d’acteur « responsable », à la fois sur la scène économique et politique.
Des pressions réglementaires grandissantes
Google, filiale d’Alphabet, fait déjà face à des poursuites et projets de lois visant ses activités phares, comme la publicité en ligne et la recherche web. L’Union européenne envisage notamment des amendes colossales si l’entreprise est reconnue coupable d’abus de position dominante ou si elle enfreint sa future législation sur l’IA. Aux États-Unis, le ministère de la Justice remet en cause la légalité de sa stratégie autour de Google Chrome, tandis que d’autres institutions s’inquiètent des dérives potentielles de l’IA : atteinte à la vie privée, biais algorithmiques ou encore menaces sur l’emploi.
Consciente de ces risques, la firme de Larry Page et Sergey Brin a initié une politique proactive. Son idée : démontrer que l’IA peut être encadrée de manière constructive, sans pour autant freiner l’innovation. C’est dans cette logique que Sundar Pichai, PDG de Google, a annoncé en septembre la création d’un fonds d’investissement de 120 millions de dollars, dédié à la mise en place de programmes d’éducation à l’IA.
Éduquer pour mieux réguler
Selon Kent Walker, président des affaires mondiales chez Alphabet, familiariser les individus aux outils d’IA est un gage de « meilleure politique ». En d’autres termes, plus les travailleurs et les décideurs comprennent les mécanismes et les enjeux de l’IA, plus la régulation sera adaptée et cohérente avec les réalités du terrain.
Du côté des entreprises; Google a élargi son initiative « Grow with Google », combinant formations en ligne et en présentiel, afin de doter les entrepreneurs de compétences en analyse de données et en support informatique.
S’agissant des formations spécialisées, des cours ciblés sur l’IA voient le jour, notamment pour les enseignants, avec l’idée de mieux préparer la génération future aux métiers de demain.
Cette démarche va au-delà de la simple publicité : Google prend aussi l’initiative de financer des recherches sur l’impact de l’IA, notamment en faisant appel à l’économiste David Autor. L’objectif ? Mieux cerner les évolutions du marché du travail et concevoir des programmes de reconversion pertinents.
Un positionnement politique assumé
En parallèle, les dirigeants de Google multiplient les déplacements à l’international pour discuter des politiques de l’IA avec les gouvernements. Au cœur de ces échanges figurent des questions essentielles :
Les risques de chômage technologique puisque les outils d’IA pourraient automatiser certaines tâches, menaçant l’emploi dans plusieurs industries.
Mais la création de contenu par l’IA soulève aussi quelques enjeux au niveau de droits d’auteur encore mal définis tout comme au sujet de la protection des données.
En effet, la puissance de l’IA en matière d’apprentissage automatique suscite des inquiétudes sur la confidentialité des utilisateurs.
En investissant dans l’éducation et en anticipant les débats législatifs, Google cherche à prouver sa bonne foi et à démontrer son engagement en faveur d’un développement « responsable » de l’IA. Cette stratégie de « soft power » entend également à réduire les tensions avec les organes de régulation, particulièrement en Europe, où la loi sur l’IA pourrait imposer des exigences drastiques pour les géants technologiques.
Les partenariats public-privé comme levier
Au-delà du volet pédagogique, Google mise sur des coopérations directes avec des institutions publiques. Kent Walker mentionne, par exemple, le programme « Skilled Trades and Readiness », développé avec des collèges communautaires, pour former les ouvriers chargés de bâtir les centres de données de l’entreprise. Grâce à cette approche, la multinationale soutient localement l’emploi tout en préparant sa propre expansion.
Cette initiative illustre la volonté de Google de créer des « preuves de concept » que les gouvernements pourraient ensuite adopter à plus grande échelle. En pilotant des programmes qui mixent besoins concrets (infrastructures, compétitivité) et ambitions technologiques (développement de l’IA), Google espère façonner un cadre réglementaire où ses intérêts et ceux des États convergent davantage.
Une réponse aux craintes sur la disparition des emplois
Les projections internes de Google, corroborées par des études issues de Goldman Sachs ou de McKinsey, suggèrent que la majorité des métiers seront partiellement transformés par l’IA, plutôt que totalement remplacés. Pour convaincre l’opinion publique, la firme avance l’idée que la clé de cette mutation se trouve dans la formation continue et la mobilité professionnelle, plutôt que dans la simple crainte d’un chômage massif.
Pour autant, la réussite d’un tel discours dépendra de la réalité du terrain. Les adultes n’étant pas toujours enclins à retourner en classe, l’entreprise cherche à rendre les formations plus interactives, à l’image de « simulateurs de vol » pour la reconversion. L’apport de l’IA elle-même pourrait ainsi accélérer l’acquisition de nouvelles compétences.
Vers une co-construction de la régulation
En définitive, Google se met en ordre de bataille pour influer sur les futurs cadres législatifs encadrant l’intelligence artificielle. L’approche est double :
Investir massivement dans la formation pour alimenter un écosystème d’employés et de décideurs sensibilisés à l’IA.
Nouer un dialogue permanent avec les gouvernements pour promouvoir une régulation flexible, propre à maintenir son leadership technologique.
Reste à savoir si cette stratégie portera ses fruits et permettra à Google d’éviter un démantèlement potentiel ou des mesures trop restrictives. La firme devra surtout prouver que son action éducative et ses partenariats ne servent pas uniquement à préserver son hégémonie, mais contribuent réellement à équilibrer les retombées économiques et sociales de l’IA. Alors que le scepticisme monte vis-à-vis des GAFAM, l’avenir de Google dans l’IA dépendra donc de sa capacité à convaincre que ses initiatives profitent autant à la société qu’à ses propres intérêts.