La discrétion d’Apple en matière de contenus originaux, notamment en France, a longtemps alimenté des interrogations. Alors que la firme de Cupertino se montrait active sur le marché américain avec des productions comme Ted Lasso ou The Morning Show, elle semblait jusqu’ici peu encline à investir dans l’Hexagone. Toutefois, la signature récente d’un accord avec les organismes de producteurs et de distributeurs français change la donne : Apple va financer des créations « d’expression originale française » pour sa plateforme Apple TV+.
Cet engagement, passé un peu sous les radars, s’inscrit dans le mouvement plus vaste impulsé par le décret SMAD, qui vise à placer les grands services de streaming étrangers sur un pied d’égalité avec les opérateurs locaux.
Un tournant pour la filière audiovisuelle
En vertu de ce décret, entré en vigueur en juillet 2021, les plateformes de vidéo à la demande doivent contribuer au financement de la production en France dès lors qu’elles dépassent un certain seuil d’activités. Netflix, Amazon Prime Video ou Disney+ avaient déjà conclu des accords de ce type, sous la pression d’obligations légales renforcées. Que le géant Apple, réputé pour son approche sélective, soit désormais dans ce club des « financiers » du paysage audiovisuel français souligne deux réalités :
- La montée en puissance d’Apple TV+ dans le paysage national, bien qu’il soit difficile de savoir exactement à combien se chiffre son audience.
- La volonté des pouvoirs publics de ne plus laisser de passe-droit aux acteurs numériques internationaux, même lorsqu’ils affichent des stratégies de diffusion plus limitées que les leaders du secteur.
En France, Apple TV+ bénéficie entre autres du partenariat avec CANAL+, via lequel les abonnés peuvent accéder à la plateforme sans surcoût. Le groupe crypté revendique plus de dix millions de clients, un chiffre à nuancer, puisqu’il inclut aussi des formules liées à des bouquets Free ou Famille by CANAL. Néanmoins, cette base donne à Apple TV+ une visibilité non négligeable et la rend, de facto, éligible au dispositif imposé par le décret SMAD.
Les contours d’un engagement… encore flous
Pour l’instant, Apple ne livre aucun chiffre officiel. Ni sur le volume exact de ses abonnés, ni sur le montant à allouer à la production française. On sait simplement que les fonds iront à la fois à des fictions, des documentaires de création, de l’animation ou même des captations de spectacle vivant. Cette diversité est conforme à la logique du décret, qui encourage une pluralité de genres et de formats. Mais on ignore si Apple investira de façon ambitieuse, capable de rivaliser avec les projets menés par Netflix ou Amazon, ou si l’on se limitera à quelques programmes de niche.
D’ailleurs, une interrogation demeure : la stratégie de Cupertino vise-t-elle à développer un véritable « label » français estampillé Apple TV+, ou se contente-t-elle de satisfaire à une contrainte réglementaire ? L’exemple des autres plateformes montre que les pressions légales se transforment parfois en opportunités. Netflix, par exemple, a profité de son obligation d’investissement pour financer des séries hexagonales à succès, devenues de véritables atouts marketing à l’international (Lupin, Dix Pour Cent…). Reste à savoir si Apple adoptera une démarche similaire, en pariant sur l’exportation de contenus « made in France » pour nourrir son catalogue.
Un enjeu industriel et culturel
Le soutien à la production française n’est pas seulement une formalité. Pour les syndicats et organisations professionnelles, c’est le moyen de préserver un écosystème local en maintenant des budgets conséquents, dans un secteur où la concurrence internationale s’accentue. Les créateurs français, qu’ils soient réalisateurs, scénaristes ou comédiens, attendent également de tels engagements pour proposer des fictions originales et se faire connaître à l’étranger.
Toutefois, pour que cet accord dépasse le cadre d’une simple contrainte, Apple devra afficher une véritable volonté éditoriale et un suivi de projets cohérents. Un investissement timide risquerait de se noyer dans la mer des catalogues en ligne, tandis qu’un engagement plus visible pourrait élever la plateforme dans l’esprit du public, en particulier si la firme s’appuie sur des talents reconnus ou des licences phares de l’Hexagone.
Vers une normalisation inévitable
À terme, la situation actuelle confirme la normalisation complète des plateformes étrangères en France. Il ne s’agit plus de savoir si elles paieront ou non leur contribution, mais plutôt de mesurer l’impact concret de leurs financements sur la production locale. Dans un contexte où chaque acteur tente de différencier son offre, investir dans des contenus originaux français peut constituer un levier de fidélisation. C’est donc un tournant majeur, qui démontre que les obligations légales ne sont plus de simples formalités, mais un véritable outil de transformation du marché.
Pour Apple, l’entrée dans ce cercle de bailleurs de fonds tricolores est à la fois un pas pragmatique — se conformer à la règle — et une opportunité d’améliorer son image en tant que partenaire culturel. Reste à vérifier, dans les mois à venir, si cette promesse sera traduite en projets concrets de qualité, capables de faire rayonner la création française sur une plateforme mondialement connue.