La crise que nous traversons actuellement a nécessité l’adoption de mesures, nous faisant renoncer partiellement à certaines de nos libertés individuelles.
S’il convient de concéder à cette renonciation tout au moins limitée dans son périmètre ou sa durée, devons-nous cependant cesser de nous interroger sur ce qui est fait en amont de ces dernières et capituler aux confins des derniers bastions du droit.
C’est le cas de la neutralité du net.
Un principe baffoué au nom d’une simple responsabilité citoyenne ?
L’ensemble des acteurs politiques comme commerciaux ayant pignon sur rue sur le marché, se sont alertés d’un éventuel sous-dimensionnement des réseaux notamment en raison de leur activité hors proportions par rapport à l’usage qui en est fait habituellement.
La faute à qui ? A l’usager qui consomme trop de streaming, aux acteurs du marché, qui consomment trop et de manière anarchique la bande passante ? Des mises en lumière de la responsabilité des uns ou des autres, au nom d’un soit disant bien pensance civique, qui doit véritablement être bien analysée et en amont.
Bien que Stéphane Richard, pour Orange, se soit montré dernièrement rassurant sur le sujet au micro de RTL, Thierry Breton, Commissaire européen en charge du numérique, s’est, de son côté, pour le moins hâté de monter au créneau dès mercredi dernier, requérant des gestes dont la seule résonance serait de maintenir un réseau stable pour les télétravailleurs.
On devait contradictoirement et curieusement dans le même temps lire dans les colonnes du JDD qu‘“en cas de saturation, les opérateurs n’excluent pas de privilégier les usages professionnels en diminuant la bande passante des sites de divertissement”.
En ligne de mire, Netflix bien évidemment, mais également YouTube qui, ont répondu de manière fort rapide et étonnamment surprenante, aux exhortations de l’ancien PDG de France Telecom, depuis lors propulsé à la tête du Commissariat Européen délégué au numérique.
Sauf que la question concernant l’occupation de la bande passante, était quelque peu tombée en désuétude à l’échelle internationale, notamment depuis l’abrogation du principe de la neutralité du net par l’administration Trump dans le courant de l’année 2018.
Un principe dont Barack OBAMA s’était fait, en 2014, l’un des plus fervents défenseurs par ailleurs, mais qui montrait tout de même quelques signes de résistance en France où il est garanti depuis l’année 2016.
Alors en quoi cette intervention de la part des acteurs du streaming sur la qualité de leur débit ou de leurs produits, doit-elle nous interpeller plus qu’il n’y paraît ?
Un principe régulièrement méprisé par ses acteurs comme par les institutions en charge de son observation.
Dans sa généralité, le principe de la neutralité du net est affirmé institutionnellement depuis le printemps 2016, contrôlé depuis lors sur le territoire français par l’ARCEP et impose aux opérateurs de ne pas opérer de différenciation quant à la nature des données qui passent par leurs réseaux.
Garantie en Europe depuis le printemps 2016, la neutralité du réseau exige que les opérateurs ne fassent pas de différenciations concernant la nature des données qui transitent sur leurs réseaux. Pour exemple, Netflix ne peut exiger un accès plus large à la bande passante sans dégrader volontairement l’offre d’un autre prestataire qui sera forcément impacté.
Cette garantie est sériée dans le règlement 2015/2120 du Parlement européen, qui impose aux FAI de traiter “tout le trafic de façon égale et sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés”.
Des situations exceptionnelles sont prévues dans le Berec, document en charge de la régulation européenne des communications électroniques, qui énonce que “lorsqu’un FAI doit se conformer à des actes législatifs de l’Union, à la législation nationale ou aux décisions d’une juridiction ou d’une autorité investie des pouvoirs nécessaires, pour préserver l’intégrité ou la sécurité du réseau”.
En l’espèce, toute décision d’intervention doit être strictement encadrée par la loi et entrer dans son champ d’application, au risque d’engendrer de sérieuses difficultés d’un point de vue légal.
S’il y a crise sanitaire, qui impose des dispositions d’urgence d’un point de vue strictement médical, cette urgence n’affectait en aucun cas la gestion des réseaux qui, si l’on en revient aux arguments avancés par Stéphane Richard et visés supra, étaient en mesure pour l’heure de supporter une hypothétique surcharge d’affluence.
Cette initiative prise sans référence aux textes légaux en vigueur sur l’intégralité du territoire européen vis à vis de Netflix, YouTube ou Disney+ par un ancien de France Telecom est pour le moins curieuse.
Si l’on n’entend pas à ce que cette crise sanitairement dramatique, n’ait dans le temps des conséquences qui nous dépassent au niveau de nos libertés individuelles, il y a lieu d’être extrêmement vigilent quant aux dispositions qui sont prises et qui les touchent de près, même si une baisse de qualité par différents acteurs du streaming peut sembler bien superficielle.