Le renouvellement de l’accord entre Canal+ et les organisations du cinéma français marque un tournant dans l’équilibre des financements du septième art. Si la chaîne cryptée reste le premier contributeur du secteur, son investissement est en nette diminution, un signal fort qui illustre les tensions économiques et stratégiques liées à la chronologie des médias.
Canal+ : un engagement maintenu mais en recul
Le nouvel accord signé entre Canal+ et les organisations du cinéma tricolore (Blic, Bloc et ARP) prévoit un investissement de 480 millions d’euros sur trois ans, soit une moyenne de 160 millions d’euros par an. Ce montant, bien qu’important, est en net retrait par rapport aux engagements passés, où Canal+ injectait environ 220 millions d’euros annuels dans l’industrie cinématographique.
Dans le détail, l’investissement sera progressif :
- 150 millions d’euros en 2025,
- 160 millions d’euros en 2026,
- 170 millions d’euros en 2027.
Cet accord prend effet rétroactivement au 1er janvier 2025 et couvre également Ciné+ OCS, nouvelle entité née du rachat d’OCS par Canal+. En contrepartie, la chaîne conserve sa place privilégiée dans la chronologie des médias, avec un droit de diffusion des films six mois après leur sortie en salle, un privilège majeur qui lui assure une exclusivité sur les blockbusters et films d’auteur avant toute autre plateforme.
Pourquoi Canal+ réduit-il son financement ?
La baisse des investissements de Canal+ ne relève pas du hasard. Elle s’inscrit en plein litige avec les plateformes de streaming, notamment Disney+, qui a récemment obtenu une réduction de sa fenêtre d’exploitation de 17 à 9 mois en contrepartie d’un investissement bien moindre de 35 millions d’euros par an.
Ce déséquilibre financier a contraint Canal+ à revoir sa position. Dès l’annonce de l’accord entre Disney+ et les organisations du cinéma, Canal+ avait menacé de réduire son engagement. La menace a été mise à exécution.
L’argument de Canal+ est simple : si les règles changent pour les plateformes de streaming, alors la chaîne cryptée ne peut plus justifier un effort financier aussi conséquent que par le passé. Cette évolution du financement fragilise encore davantage un modèle basé historiquement sur Canal+, qui s’éloigne progressivement de son rôle de pilier exclusif du financement du cinéma français.
Un modèle de financement plus diversifié mais moins abondant
Ce recul de Canal+ dans son soutien au cinéma s’inscrit dans une transformation plus large du paysage audiovisuel français. Pendant longtemps, la chaîne cryptée était l’unique moteur de financement, grâce à un modèle d’abonnement solide et un quasi-monopole sur les droits de première diffusion des films récents.
Aujourd’hui, les cartes sont redistribuées :
- Disney+ a négocié une fenêtre de 9 mois avec un financement réduit,
- Netflix et Prime Video pourraient chercher à se positionner davantage,
- L’État et le CNC restent des acteurs clés, mais leurs capacités d’investissement sont limitées.
Ce nouveau partage des ressources permet d’éviter une dépendance excessive à Canal+, mais il pose un autre problème : moins d’argent est injecté globalement dans la production française.
L’évolution du financement du cinéma pose donc une question de pérennité : les plateformes de streaming compenseront-elles réellement la baisse de l’engagement de Canal+ ? le cinéma français sera-t-il suffisamment soutenu pour maintenir son dynamisme ? peut-on espérer une refonte plus large du système de financement du cinéma en France ?
Canal+ et le cinéma : une relation qui évolue
Malgré cette baisse de financement, Canal+ reste un acteur incontournable du paysage cinématographique français. Maxime Saada, président du directoire du groupe, a tenu à rappeler que le cinéma est la première motivation des abonnés à Canal+.
Le groupe audiovisuel conserve une position dominante dans l’exploitation des films récents, et pourrait chercher à valoriser davantage son catalogue pour maintenir l’intérêt des abonnés face à une concurrence toujours plus féroce.
Avec un investissement moindre mais toujours significatif, Canal+ adapte son modèle tout en conservant son influence, sans pour autant endosser à lui seul le rôle de garant de la santé du cinéma français.
Un avenir incertain pour le financement du cinéma français
Le nouvel accord signé avec Canal+ marque une transition plutôt qu’une rupture. Le cinéma français s’ouvre à de nouveaux financeurs, mais cette diversification s’accompagne d’un recul des montants investis.
L’enjeu des prochaines années sera de stabiliser ce modèle hybride, qui repose désormais sur une pluralité d’acteurs, avec une répartition des engagements qui reste encore déséquilibrée.
En filigrane, cette situation pose la question d’une future réforme de la chronologie des médias, qui pourrait être remise en cause dans les années à venir, sous la pression des plateformes et d’une industrie en quête d’adaptation.