Depuis l’arrivée de Vincent Bolloré à la tête de Canal+ en 2015, le groupe audiovisuel a été profondément transformé par une stratégie de réduction drastique des coûts. Cette méthode, incarnée par des décisions spectaculaires et controversées, a permis de restaurer la rentabilité de la chaîne cryptée mais a également engendré des conflits récurrents avec des partenaires stratégiques, des fournisseurs et même les régulateurs.
Alors que Canal+ a fait son entrée à la Bourse de Londres hier, l’Informé s’est penché sur un parcours marqué par des économies massives, des contentieux multiples et des amendes sévères.
Des réductions de coûts comme pilier de transformation
Sous la houlette de Michel Sibony, proche collaborateur de Vincent Bolloré, Canal+ a initié dès 2016 un vaste plan d’économies. L’objectif initial était de réduire les dépenses de 300 millions d’euros par an, dont la moitié concernait les budgets de contenu. Ce chiffre a ensuite été porté à 575 millions d’euros par an, soit une réduction totale de 1,5 milliard d’euros en moins d’une décennie.
Cette quête d’économies a touché tous les aspects de l’entreprise et notamment les contenus avec des coupes franches dans les budgets de production et d’acquisition, l’infrastructure avec une baisse significative des investissements dans les décodeurs et la technologie ou bien encore au niveau des partenariats grâce au concours de négociations musclées avec les fournisseurs et sous-traitants.
Ces mesures ont contribué à améliorer la santé financière du groupe et à séduire les investisseurs. Lors de réunions avec des analystes, la direction de Canal+ n’a cessé de vanter cette gestion « rigoureuse ».
Des pratiques contestées et des litiges multiples
Si cette stratégie a permis de redresser les comptes, elle a également généré de nombreux conflits. En effet, les méthodes employées par Canal+, notamment pour négocier avec ses fournisseurs, ont souvent été perçues comme brutales.
Canal+ a en effet régulièrement exigé des baisses de tarifs de 20 % à ses partenaires. Pour y parvenir, l’entreprise a parfois retardé, voire suspendu, les paiements. Ces pratiques ont conduit à plusieurs litiges, dont certains se sont soldés par des amendes en 2017 avec un contrôle de la DGCCRF pour un montant de 923 000 € et des plaintes émies par une dizaine de fournisseurs stratégiques, comme Technicolor, Nagra Kudelski, ou encore Eutelsat, qui ont engagé des procédures judiciaires contre le groupe pour impayés ou ruptures brutales de contrats.
Parallèlement, des dépenses d’équipement ont été radicalement réduites.
En effet, les investissements dans les décodeurs ont été divisés par deux entre 2014 et 2017, passant de 100 millions d’euros à 50 millions d’euros. Ces coupes ont retardé des lancements clés, comme celui du décodeur G9, qui n’a vu le jour qu’en 2018, avec près de deux ans de retard. Ce retard a entraîné des désabonnements, obligeant Canal+ à revoir ses prix et à affronter des procès avec ses fournisseurs.
Enfin, pour le clore le tout, des chaînes comme Eurosport et M6 ont également été confrontées à des différends financiers avec Canal+. L’entreprise a parfois cessé de les payer en invoquant des clauses contractuelles discutables, ce qui a entraîné des procès, souvent en faveur des plaignants.
Un impact social et stratégique
La stratégie de réduction des coûts a également eu un impact direct sur l’emploi au sein de Canal+. Depuis 2015, quatre plans sociaux ont été mis en œuvre, dont le plus récent en décembre 2024, qui prévoit la suppression de 250 postes, notamment à la suite de l’arrêt de la chaîne C8.
Au-delà des économies, cette politique s’inscrit dans une vision plus large : recentrer Canal+ sur des contenus rentables et réduire les dépendances extérieures, au risque d’appauvrir son offre et d’endommager ses relations commerciales.
Un pari risqué sur le long terme
Si les économies réalisées séduisent les investisseurs à court terme, elles posent des questions sur la pérennité de Canal+. En réduisant les investissements dans les contenus et les technologies, le groupe pourrait perdre son avantage compétitif face à des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime, qui continuent de miser massivement sur l’innovation et l’acquisition de droits exclusifs.
Les litiges et pratiques agressives ont également affecté l’image de Canal+ auprès de ses partenaires et du public. Ces conflits, souvent médiatisés, projettent une image d’un groupe davantage axé sur la réduction des coûts que sur l’innovation ou la création de valeur.
Canal+ à la croisée des chemins
Avec son entrée à la Bourse de Londres, Canal+ espère attirer de nouveaux investisseurs en mettant en avant sa rigueur financière. Cependant, cette stratégie, centrée sur la réduction des coûts, soulève des interrogations sur la capacité du groupe à rester compétitif dans un secteur en pleine mutation, où l’innovation et les contenus exclusifs sont essentiels pour attirer et fidéliser les abonnés.
Alors que Vincent Bolloré et son fidèle Michel Sibony continuent de chasser les coûts, Canal+ devra trouver un équilibre entre rentabilité et attractivité pour maintenir sa position sur un marché de plus en plus concurrentiel. Si cette stratégie assure des succès financiers à court terme, son impact à long terme reste incertain.
Source l’Informé