C’est sûrement en conservant à l’esprit les propos tenus par Denis Olivennes Président de CMI France, mercredi dernier sur BFM Business, sur la « sanctuarisation de l’indépendance »,que Xavier Niel a entendu sortir du bois hier, dans le cadre du litige opposant le pôle d’indépendance journalistique du Monde à Matthieu Pigasse à propos de l’arrivée sur l’échiquier du quotidien, de Daniel Kretinsky, milliardaire tchèque investi dans l’industrie énergétique ou les médias, à la réputation sulfureuse.
Xavier Niel a entendu créer la surprise, avec une proposition de transfert du capital social de la holding Le Monde Libre dans laquelle il est partie prenante avec Matthieu Pigasse, vers une fondation, moyennant un euro symbolique d’après le journal Libération.
Un schéma qui a été par le passé adopté par Médiapart pour se sortir d’une crise quasi-identique.
Une offre surprenante en marge d’un accord signé par Matthieu Pigasse ?
Proposition déstabilisante, lancée alors que Matthieu Pigasse semblait évoquer quelques heures plus tôt avec satisfaction, un accord qui imposerait au pôle d’indépendance de trouver un nouveau repreneur à un prix plancher fixé entre les parties, le garantissant de toute perte financière, en cas de refus du nouvel actionnaire.
Xavier Niel entendrait malgré tout évoquer cette solution lors d’un conseil de surveillance prévu le 3 octobre prochain, en présence de Matthieu Pigasse, mais également de l’ensemble des instances représentatives du personnel.
Un dîner de famille qui risque d’être mouvementé.
Cette situation surprenante s’inscrit dans le prolongement de petits heurts et rebondissements qui émaillent depuis approximativement un an, le partenariat pourtant prometteur, conclu entre Matthieu Pigasse et Xavier Niel.
A l’origine de ces tensions, survenues quelques mois après le décès de Pierre Bergé en 2017, dernier protagoniste ayant pris part au tiercé gagnant lors de la reprise du quotidien en 2010, l’arrivée dans le capital de sa société Le Nouveau Monde, porteuse de parts de la holding Le Monde Libre, de Daniel Kretinsky, accusé de faire main basse sur les médias français pour des raisons personnelles voire politiques et non pas dans l’intérêt du quotidien, au détriment de son indépendance éditoriale.
Ressentiment analysé par Matthieu Pigasse comme une porte ouverte vers un véritable droit de véto concédé aux journalistes et non plus une procédure d’agrément, si le Pôle d’Indépendance devait être consulté préalablement à l’entrée dans la danse de Daniel Kretinsky.
Or, Xavier Niel, garant de l’indépendance de la rédaction, a, de son côté, entendu respecter ses engagements et concéder ce droit en le régularisant dès le 9 septembre dernier, caractérisant la perspective d’une prise de participation monopolistique par l’homme d’affaires tchèque comme une « véritable agression » à son égard et effectivement puisque Daniel Kretinsky se retrouverait en véritable position de monopole à son détriment mais surtout celui de l’alliance conclue en 2010.
Côté Matthieu Pigasse, de manière à éviter tout déséquilibre et malentendu, il s’est fendu d’une proposition formée à l’égard de Xavier Niel, à qui il céderait la moitié des 20% négociés au Groupe espagnol Prisa actuellement en cours de négociation ; proposition qui aurait été a priori acceptée par Xavier Niel, à la condition sine qua non :
- que la quote-part ainsi acquise soit redistribuée au Pôle d’Indépendance pour «conforter [sa] place et [son] rôle au sein de l’actionnariat» ;
- qu’une « fondation » se substitue à l’actionnariat actuel du groupe de presse, qui, même s’il l’exclura du jeu, en boutera également dehors le duo Pigasse-Kretinsky.
Des pions sur l’échiquier à la stratégie du « coup du berger ».
Le geste, s’il revêt l’apparence d’une largesse de la part de Matthieu Pigasse ou tout d’une démarche conciliatrice, évincerait Xavier Niel en le plaçant dans une position de faiblesse.
Situation à laquelle il serait préférable pour l’homme fort d’Iliad de mettre un terme de la sorte, même si cela devait lui coûter sa position au sein du Monde, car la mésentente entre les deux hommes ne passe plus inaperçue voire inquiète le pôle d’indépendance journalistique qui, loin d’être rassuré par la conclusion d’accords clairement attendus, ne voit plus dans les clauses régularisées qu’une stratégie au qui mieux-mieux entre les différents intervenants.
Un nouvel épisode dans une saga en contrepoint qui risque de s’éterniser encore un peu.