Sur BFMTV ou CNEWS, les sujets sur les ondes mobiles n’hésitent pas à surfer sur les peurs des spectateurs, quitte à procéder à quelques arrangements avec la réalité.
Fin mars, un rapport de l’Anses sur les ondes électro-magnétiques (Agence nationale de sécurité sanitaire) attirait l’attention des médias. Largement relayé et commenté, celui-ci peut être résumé à deux conclusions majeures :
- D’une part, les maux ressentis par les personnes s’affirmant atteintes d’électro-hypersensibilité (EHS), bien que très divers, sont tout à fait réels. Le rapport préconise d’ailleurs une meilleure prise en charge de ces malades, dès le diagnostic chez le médecin.
- D’autre part, pour autant, via une série d’études en double aveugle, il a été impossible de démontrer un quelconque lien entre ces symptômes et l’exposition aux ondes électro-magnétiques. Plus important encore, dans certains cas, les malades atteints d’EHS présentent plus de symptômes lorsqu’ils se pensent sujets à des expositions factices, ce qui vient accréditer la thèse d’un effet nocebo même si le rôle d’une « affection organique non identifiée » n’est pas exclus.
En quête de sensationnalisme, de nombreux journaux ont choisi de ne se concentrer que sur la première partie de l’information. Entraînant approximations, omissions et contre-vérités en pagaille…
Les conclusions scientifiques reléguées au second plan
La presse généraliste a, de manière quasi-unanime, choisi de titrer sur la « souffrance » reconnue des personnes dites électrosensibles. Par maladresse ou réelle volonté d’embobiner le lecteur, un lien de causalité trompeur est presque toujours établi entre les « ondes » et les « souffrances ».
Ce n’est qu’après une lecture intégrale que cette affirmation mensongère sera (plus ou moins clairement) dissipée. L’article de l’AFP, repris par la plupart des grands médias, n’évoque l’absence de lien démontré entre les ondes et les symptômes que de façon discrète, en un paragraphe en fin d’article. Après avoir relayé les propos contradictoires des représentants d’associations réputées anti-ondes comme Robin des Toits ou Priartém-Electrosensibles de France…
Chez Libération, plus malins, on opte pour la technique du point d’interrogation : « assiste-t-on à une reconnaissance de l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques ? ». (On vous épargne la lecture : la réponse est non.)
Autre technique : à défaut d’information à se mettre sous la dent, la presse n’hésite pas à recourir au bon vieil effet « micro-trottoir ». Chez 20 Minutes, France Soir, BFMTV ou Europe 1, on multiplie les ressentis de malades décontextualisés, les appels à témoins, voire les conseils pratiques pour survivre à la menace des ondes…
Ce n’est pas une généralité absolue, toutefois : certains journaux, parmi lesquels quelques grands généralistes (Le Monde, Le Figaro, France 24) ainsi qu’une large proportion de médias spécialisés dans les technologies ou la santé, optent pour un titre au moins partiellement moins ambigu.
« Les ondes électromagnétiques sont partout »
Deux mini-vidéos des inévitables chaînes info BFMTV et CNEWS, publiées sur les réseaux sociaux, cristallisent peut-être le mieux cette culture de l’erreur et de l’approximation au nom du buzz.
Côté CNEWS, l’accroche, anxiogène, donne le ton : « Nous y sommes constamment exposés sans même nous en rendre compte. Les ondes électromagnétiques sont partout ». Certes oui, la lumière est une onde électromagnétique, après tout… mais l’approximation scientifique est devenue habituelle. En général, le terme est donc abusivement utilisé pour ne désigner que certains types d’ondes, notamment liés aux technologies récentes (4G, Wi-Fi…). Poursuivons.
Nous y sommes constamment exposés sans même nous en rendre compte. Les ondes électromagnétiques sont partout pic.twitter.com/V535HJHigt
— CNEWS (@CNEWS) March 27, 2018
« LES ONDES ENFIN EXPOSÉES AU GRAND JOUR ». Sur fond d’images d’archives, une voix-off affirme que les ondes, telles que celles émises par les appareils électroménagers ou la 4G, « provoquent des troubles du sommeil, des nausées ou encore des problèmes cutanés ». « Il y aurait des dizaines de symptômes handicapants causés par les ondes », poursuit CNEWS. Et d’évoquer le rapport de l’Anses, qui « reconnaît la réalité des troubles présentés par les personnes considérées comme électro-sensibles ».
Ce n’est qu’au détour d’une phrase de la vidéo que la chaîne reconnaît qu’il « n’existe aucune preuve liant le syndrome aux ondes électro-magnétiques ». Cocasse, après avoir affirmé l’inverse, axé tout le reportage sur le sujet des ondes… et tout en continuant à illustrer cette affirmation avec des images d’antennes-relais, de téléphones mobiles et de tablettes utilisées par des enfants.
Rassurez-vous toutefois, CNEWS trouve les moyens de retomber sur ses pieds en concluant : « il y a deux ans déjà, l’Agence avait estimé que les ondes électro-magnétiques émises par les portables ou les jouets connectés avaient des effets sur les fonctions cognitives des enfants ». Cette dernière évocation sans lien avec les affirmations précédentes a pour unique but de convaincre à nouveau du danger supposé des ondes. Alors que l’Anses elle-même affirmait, à l’époque, que les « effets observés sur le bien-être pourraient toutefois davantage être liés à l’usage des téléphones mobiles plutôt qu’aux radiofréquences qu’ils émettent » et ne reconnaissait donc pas de lien de causalité avéré.
« À la rue à cause de la 4G »
Pour sa part, dans la foulée de la sortie du rapport de l’Anses, BFMTV consacre un reportage à un électrosensible autodiagnostiqué, qui s’affirme « à la rue à cause de la 4G ».
Tout comme sa consœur cathodique, BFMTV n’hésite pas à établir un lien direct en affirmant que les ondes électromagnétiques « provoquent d’importants maux de tête, des palpitations et des troubles de la pensée » chez Clément, sujet du reportage. « Depuis 6 mois, il vit dans ce fourgon aménagé ».
S’ensuit une explication du mode de vie du malade, qui déclare se protéger des ondes à l’aide de feuilles d’aluminium plaquées dans sa camionnette garée entre deux immeubles « pour arrêter les ondes des antennes relais », ou encore de tissus et tapis « spéciaux, reliés à la terre ». À aucun moment, BFMTV n’interroge l’efficacité ou la pertinence de tels dispositifs farfelus, sans aucune base scientifique.
L’interviewé poursuit : « il y a des spécialistes qui disent que ça peut aller jusqu’à la crise cardiaque ». Quels spécialistes ? Là encore, malgré le caractère de l’affirmation qu’on pourrait qualifier de quasi-complotiste, on n’en saura pas plus.
Dans les quinze dernières secondes de la vidéo, BFMTV admet enfin : « l’Anses reconnaît désormais l’électrosensibilité et recommande la prise en charge des malades même si cette pathologie n’est toujours pas prouvée scientifiquement ». Mais en consacrant deux minutes à un cas particulier, sous l’angle du pathos, BFMTV a trouvé le bon moyen de faire vibrer les peurs des anti-ondes, sans avoir besoin de porter la responsabilité des affirmations de son invité. Bien pratique !