La prise de position de Barack Obama en faveur d’un internet libre et ouvert mais strictement encadré, le 10 novembre dernier, est venue nourrir le débat relatif à la neutralité du net qui agite la toile depuis plusieurs mois, et notamment auprès des acteurs majeurs du net tels que Facebook, AOL, Twitter ou bien encore Microsoft.
Cette déclaration, dans la droite lignée de son programme électoral de 2008, s’inscrit consécutivement aux décisions judiciaires qui sont venues remettre en cause l’autorité de la FCC (Federal Communications Commission), organe de contrôle des pratiques et usages du trafic sur le réseau, opposant cette dernière aux opérateurs Comcast ou Verizon, privant de base légale les dispositions mises en place par ses soins, tout en réaffirmant dans le même temps, le principe d’un traitement égalitaire pour l’ensemble des sites, prohibant dans le même temps, la mise en place de voies d’accès prioritaires (ou fast lanes) aux acteurs de e-commerce dont l’activité est extrêmement gourmande en bande passante.
La FCC, une autorité de contrôle fédérale et institutionnelle verrouillée par les décisions judiciaires
Pour mémoire, confrontée aux errements de Comcast vis à vis des réseaux Peer-to-peer — dont BitTorrent — dont il bridait les protocoles et ralentissait le trafic sur ses réseaux, la FCC avait dès 2007, souhaité imposer des règles comportementales et proposé un passage en force, d’un projet visant à réguler drastiquement les usages en la matière et respecter un équilibre d’accès. La Justice devait trancher la difficulté et renvoyer la commission sur le banc de touche, en l’invitant à la rédaction de règles plus souples, ce qu’elle s’évertuait à faire, en vain dès 2010 contre l’opérateur Verizon.
Ce dernier devait lui aussi, s’adresser à Justice, et une nouvelle décision a été rendue par la Cour d’Appel des Etats-Unis le 14 janvier 2014.
Si les termes de ce dernier Arrêt n’affectent en rien le principe de la neutralité du net et rejettent les procédures de blocage utilisées par l’opérateur, ils critiquent vertement la méthodologie de la FCC dont l’intervention s’est vue privée de base légale ; cette décision a ni plus ni moins, fragilisé le principe de neutralité et de libre concurrence, tout en sapant l’autorité de l’organe de contrôle.
Or, il convient brièvement de rappeler les base de ce principe, qui impose aux fournisseurs d’accès :
1° un traitement équitable de l’ensemble de leurs usagers ;
2° tout en garantissant une utilisation du réseau libre, accessible à tous, exempt de toute discrimination à l’égard de la source, de sa destination ou du contenu de l’information qui y est transmise ;
On peut aisément envisager l’ensemble des enjeux, démocratiques (l’égalité d’accès à la bande passante), économiques (un frein à l’innovation pour les sociétés dont les ressources ne sont pas assez conséquentes et qui ne peuvent proposer des investissements aussi importants que d’autres, comme Netflix et Amazon par exemple, pour bénéficier de fast lanes mais aussi une opacité totale pour les usagers qui n’auraient aucun accès aux dessous des cartes des différents tarifs proposés par les opérateurs), qui découlent de cette problématique.
Si la notion n’a de cesse d’être réaffirmée et soutenue de manière implicite, elle s’est constamment vue privée de soutien légal ou institutionnel.
De l’autorité fédérale sapée judiciairement de la FCC, aux organes décisionnels internes et indépendants en Europe : deux systèmes pour une même application ?
L’Europe serait particulièrement mal venue de porter un jugement sur ces balbutiements, car si la notion a fait l’objet d’une consécration au sein des 28 Etats Membres de l’Union Européenne, dans son Paquet Télécoms depuis le mois d’avril dernier, d’un point de vue pratique, l’application des textes, encore trop récents, qui officialisent la mise en place d’un traitement égalitaire de l’ensemble des usagers, laisse encore la part belle aux Etats de décider le modus operandi de ce traitement par l’intervention d’autorités de régulation nationales et noie leur caractère décisionnel dans un flou artistique total.
Cette attitude peu claire et uniforme, subordonnant la mise en œuvre du principe à d’éventuelles décisions de justice préalables tranchant le problème à la source, reste une manière curieuse et pas réellement efficace, de contourner la difficulté d’un point de vue législatif et politique.
Le discours d’Obama ou le positionnement politique, en faveur de l’égalité de traitement des usagers au détriment de l’ultralibéralisme économique et technologique
En réaffirmant son soutien à l’autorité de la FCC, qu’il souhaite considérer comme un organe de régulation général et fédéral, des pratiques et usages d’internet dans un secteur qu’il assimile à un bien public, le Président Obama s’immisce politiquement au cœur des prérogatives régaliennes d’un organe stratégique indépendant.
Cette prise de position rigoureuse, novatrice politiquement parlant, et qui s’inscrit en marge des intérêts économiques des sociétés particulières (qui ont pointé du doigt cette déclaration, dans une lettre rédigée à son endroit, dénonçant une entrave aux libres pratiques économiques et à l’innovation technologique), est pourtant un véritable acte démocratique en faveur des usagers, contre un internet à deux vitesses et une volonté manifeste de ne « pas permettre aux fournisseurs d’accès internet de restreindre le meilleur accès ou de choisir des gagnants et des perdants sur le marché en ligne pour des services ou des idées ».